Coup d’œil sur la recherche 2024/01

Version PDF

La taxation optimale des produits alcoolisés
Coup d’œil sur un article de Rachel Griffith, Martin O’Connell et Kate Smith

Les effets délétères de l’alcool sur la santé sont largement documentés. De plus, la consommation d’alcool entraîne des coûts sociaux importants : comportements antisociaux, criminalité, régulation, contrôle et soins de santé, surtout pour les pays ayant des systèmes publics de protection sociale. En plus d’émettre des recommandations, les gouvernements tentent de réduire la consommation problématique en limitant la disponibilité des boissons alcoolisées et par des politiques visant à augmenter leur prix, comme les taxes d’accise sur l’alcool.  

Dans cet article, les auteurs s’intéressent aux taxes correctrices optimales sur le marché de l’alcool. Ils présentent un modèle théorique de la demande d’alcool et de taxation optimale dans un marché de l’alcool caractérisé par des consommateurs hétérogènes et une multitude de produits pouvant potentiellement générer des externalités négatives[1]. Le modèle est estimé empiriquement afin de quantifier les bénéfices potentiels de réformes.

De quoi est-il question?

Le point de départ théorique est un modèle publié en 1973, où Peter A. Diamond examine les taxes optimales pour corriger les externalités dans le cas où celles-ci varient selon les consommateurs. Les auteurs appliquent ce modèle à un cadre où les produits sont différenciés. Avec un taux de taxation uniforme pour tous les produits, la taxe optimale correspond à la moyenne pondérée des externalités marginales créée par la consommation d’alcool, comme dans l’article de Diamond. Toutefois, si la demande des consommateurs pour différents produits alcoolisés est corrélée avec les coûts sociaux de leur consommation d’alcool, des taux de taxes différenciés permettent, dans un cadre utilitariste, d’augmenter le bien-être de la société.

Les auteurs soulignent que plusieurs éléments démontrent que les coûts sociaux de la consommation d’alcool sont surtout causés par un petit nombre de grands buveurs. Ils ajoutent qu’il existe des preuves que l’externalité marginale de la consommation d’un verre additionnel augmente avec le nombre de verres consommés, ce qui implique que les externalités s’accroissent de manière convexe avec la quantité d’alcool bue. Dans ce contexte, il est possible de cibler la consommation la plus nocive socialement en taxant davantage l’alcool contenu dans les produits surtout consommés par les buveurs problématiques et pour qui une hausse de prix entraîne une diminution relativement importante de leur consommation totale d’alcool.

Le système optimal à taux multiples utilise les corrélations entre les préférences et les externalités marginales pour identifier et cibler la consommation susceptible d’avoir des coûts sociaux importants.

Comment l’analyse a-t-elle été effectuée?

Le cadre de taxation optimale développé par les auteurs considère des taxes spécifiques levées en fonction du contenu en alcool éthylique ou éthanol. Les taux optimaux sont ceux qui maximisent une fonction de bien-être social utilitariste, qui tient compte seulement du surplus du consommateur[2] et des coûts sociaux de la consommation d’alcool. L’impact de la taxe sur les producteurs n’est pas considéré ni les questions de redistribution des revenus ou d’incidence des externalités, et le problème de maximisation n’inclut pas de contrainte de collecte de revenus.

Les données utilisées pour estimer empiriquement la demande pour les produits alcoolisés contiennent des informations détaillées sur tous les produits consommés par les ménages à la maison pendant deux années, dont leur prix. L’échantillon contient des observations sur plus de 18 000 ménages, dont près des deux tiers ont acheté des boissons alcoolisées au Royaume-Uni en 2010 et 2011. La distribution des achats d’alcool en 2010 est utilisée pour séparer les ménages en quintiles. Les ménages des trois quintiles supérieurs, qui achètent plus de 8,5 « verres standards » par adulte par semaine selon les standards nord-américains, sont définis comme de « grands buveurs ». Ils représentent 19 % des ménages. Les données de 2011 sont utilisées pour estimer la demande pour les produits alcoolisés, qui sont divisés en 32 catégories selon leur teneur en alcool afin de capter les schémas de substitution. Le modèle de demande d’alcool reproduit la décision d’acheter ou non de l’alcool, ainsi que le choix du produit et de la quantité.

La demande estimée d’alcool est combinée au cadre de taxation optimale afin de calculer les taux optimaux de taxe sur l’éthanol. Les auteurs supposent que la fonction représentant les externalités de la consommation d’alcool est croissante et convexe, mais varient son degré de convexité en imputant aux grands buveurs de 60 à 95 % des coûts externes. La fonction d’externalités est calibrée afin de correspondre à une estimation de 2007 incluant les coûts reliés aux crimes, au système de santé et à l’alcool au volant[3].

Que révèle la recherche?

La figure ci-dessous montre les taux de taxation optimaux dans le cas où le planificateur est contraint de fixer un seul taux, ainsi que dans le cas où des taux de taxations différents peuvent être retenus pour huit catégories de boissons.

Taux de taxation optimaux

Source : Griffith, O’Connell et Smith, 2019

Plus la fonction d’externalités est convexe, plus il y a de gains, en matière de bien-être social, à fixer des taux de taxe différenciés selon les types de produits.

Dans le cas où les externalités augmentent de façon linéaire avec la quantité d’éthanol (donc si les grands buveurs entraînent 60 % des coûts), il n’y a pas de gains de bien-être à adopter plusieurs taux. Avec une fonction d’externalité plus convexe, la flexibilité des taux différenciés crée des gains sociaux en permettant de taxer davantage les produits à forte teneur en alcool préconisés par les grands buveurs, ce qui les incite à se tourner vers des produits moins alcoolisés. La diminution de la quantité d’éthanol consommée donne lieu à des coûts sociaux plus faibles qu’avec un taux unique, alors que le surplus du consommateur augmente parce que le taux de taxation moyen de l’éthanol est plus faible. Ainsi, le système optimal génère moins de revenus fiscaux que celui à un seul taux.

Finalement, les auteurs évaluent à quel point le système de taxes sur l’alcool du Royaume-Uni s’approche d’un système optimal. Dans cette juridiction, le vin et le cidre sont taxés selon le volume, par litre, alors que la bière et les spiritueux sont imposés sur la base de la teneur en éthanol. Ils estiment des gains de bien-être de l’ordre de 1,2 G£, et des gains additionnels avec un système fiscal plus différencié.

Et puis maintenant?

Au Canada, les droits d’accise sur la bière, le vin et les spiritueux sont établis par le gouvernement fédéral en fonction du taux d’alcool. A priori, les gains potentiels de l’optimisation des taux pourraient se situer surtout du côté des provinces qui, pour la plupart, imposent des taxes ad valorem. Seuls l’Ontario, le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador ont des taxes différenciées selon les catégories de produits ou leur provenance, mais pas nécessairement selon la concentration d’éthanol.

Le cadre d’analyse des auteurs pourrait être appliqué à d’autres marchés caractérisés par des produits différenciés des externalités de consommation hétérogènes. Par exemple, le modèle permettrait d’examiner la conception optimale des taxes sur les boissons sucrées si les préférences des amateurs de boissons sucrées sont corrélées avec les externalités marginales de la consommation de sucre.

par Julie S. Gosselin

[1] La présence d’une externalité signifie qu’un agent économique a un effet positif ou négatif sur un tiers lorsqu’il consomme ou produit un bien. Généralement, cet effet externe ne se reflète pas dans la valeur marchande. Pour plus de détails, voir Chaire en fiscalité et en finances publiques, Lexique, en ligne <https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/outils-ressources/lexique/> (page consultée le 18 janvier 2024).
[2] Il s’agit de l’écart entre le prix maximum qu’un consommateur est prêt à payer pour un bien ou un service et le prix réellement payé.
[3] Cette estimation des coûts totaux de Cnossen est fondée sur une analyse de 2003 réalisée pour le compte du UK Cabinet Office. 

À PROPOS DE CETTE PUBLICATION
Qu’il s’agisse de travaux de recherches sur des aspects fondamentaux des finances publiques ou des éléments plus pointus de la fiscalité, qu’ils soient récents ou pas et qu’ils soient ancrés dans n’importe quelle discipline, l’équipe de la Chaire en fiscalité et en finances publiques partage les constats intéressants tirés des textes consultés dans le cadre de ses projets.

INSCRIVEZ-VOUS À L’INFOLETTRE