Coup d’œil sur la recherche 2020/06

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Les déterminants politiques liés à l’assiette fiscale dans le cadre de réformes
Coup d’œil sur un article de Ethan Ilzetzki

Les réformes fiscales survenues au cours des dernières décennies dans les pays membres de l’OCDE ont touché à la fois les taux d’imposition et l’assiette fiscale. Dans ce contexte, l’élargissement de la base d’imposition implique généralement la suppression d’avantages fiscaux consentis à certains contribuables. Comment susciter l’adhésion de ceux-ci à de telles réformes?

Dans un article publié en 2018, Ethan Ilzetzki explore les déterminants politiques liés à une modification de l’assiette fiscale dans le cadre d’une réforme. Le chercheur y présente un cadre d’analyse permettant d’évaluer les préférences des contribuables relativement aux avantages fiscaux qui leur sont consentis.

Comment l’analyse a-t-elle été effectuée?

Ilzetzki propose qu’un groupe d’intérêt, assez puissant pour obtenir un avantage fiscal, tentera de résister à son élimination dans le cadre d’une réforme. À cette fin, ce groupe s’efforcera d’obtenir un compromis basé sur deux dimensions de la politique fiscale, soit l’assiette fiscale et le taux d’imposition.

Ilzetzki pose l’hypothèse que, lorsque l’inefficacité du système fiscal atteint un certain seuil, les individus seront prêts à renoncer à leurs propres avantages fiscaux en faveur d’une réforme majeure qui éliminera l’ensemble, ou à tout le moins une grande partie, des avantages fiscaux.

En économie politique, la littérature sur les déterminants de la politique fiscale est abondante et la bibliographie du chercheur y rend justice, mais la notion de réforme en est généralement absente. De plus, selon Ilzetzki, ces modèles ne distinguent pas tous clairement l’assiette fiscale et le taux d’imposition. Ce sont ces éléments précis qu’il tente de mieux cerner. Finalement, le chercheur constate que plusieurs études qui traitent des réformes fiscales mettent un accent important sur la notion d’équité verticale[1], mais passent sous silence la notion d’équité horizontale[2] et les distorsions qui en résultent.

Pour mener à bien son étude, Ilzetzki utilise principalement les données des auteurs Kawano et Slemrod (2012) portant sur les modifications législatives à l’assiette fiscale de l’impôt des sociétés de 30 pays membres de l’OCDE pour la période 1980-2004. Parmi les réformes analysées, on retrouve notamment celle opérée au Canada par le ministre Wilson qui s’est conclue par l’introduction de la TPS.

Les résultats obtenus à l’aide de ces données sont conformes à la théorie proposée dans l’étude, à savoir que le gouvernement doit modifier ses taux d’imposition pour compenser les perdants d’une réforme visant à élargir l’assiette fiscale.

Que révèle la recherche?

Le chercheur constate d’abord qu’une réforme fiscale est plus susceptible d’être menée à terme lorsque le gouvernement qui l’initie démontre un besoin important de recettes fiscales.

Puis, il constate que les réformes réussies au sein des pays membres de l’OCDE au cours des dernières décennies ont proposé à la fois une baisse des taux d’imposition et un élargissement de l’assiette fiscale.

Pour susciter l’adhésion des contribuables, le chercheur démontre qu’il est plus facile politiquement d’effectuer une grande réforme (Big-Bang Reform) que de tenter d’effectuer des modifications à la marge du système fiscal. Cela s’explique par le fait que, lorsque suffisamment d’avantages fiscaux individuels sont supprimés simultanément, le gain d’efficacité engendré peut être assez important pour compenser l’ensemble des perdants de la réforme.

La figure ci-dessous trace la relation entre l’utilité d’un contribuable et la taille de l’assiette fiscale, pour un contribuable qui bénéficie d’un avantage fiscal (ligne pointillée) et pour un qui n’en bénéficie pas (trait plein). En dépit de l’élimination de l’avantage fiscal, le niveau d’utilité du contribuable après la réforme peut être similaire à son niveau initial (passage du marqueur X à X’).

Utilité avec et sans allègement fiscal en fonction de l’assiette fiscale

Source: E. Ilzetzki, 2018

Avec une réforme fiscale élargissant suffisamment l’assiette fiscale, un gouvernement peut parvenir à replacer un contribuable dont les avantages fiscaux ont été supprimés dans une situation similaire à celle dont il bénéficiait avant la réforme grâce à une diminution des taux marginaux d’imposition.

Le chercheur constate également que les gains privés des allègements fiscaux sont plus élevés lorsque l’assiette fiscale est étroite.

Finalement, dans la dernière partie de l’étude, le chercheur discute de l’influence des lobbys comme déterminants politiques des réformes fiscales. Il constate que les choix relatifs aux taux marginaux d’imposition et à l’assiette fiscale constituent un processus politique et que, conséquemment, les lobbys peuvent y jouer un rôle important. Ilzetzki développe deux modèles d’équilibre, un avec un lobbying important et une assiette fiscale étroite et un autre, avec un lobbying limité et une base d’imposition plus large.

Et puis maintenant?

La recherche d’Ilzetzki apporte un éclairage nouveau sur les déterminants des réformes fiscales. L’intérêt de ce cadre d’analyse est d’ailleurs démontré par le professeur William Watson (2020), qui l’utilise brillamment pour étudier les trois principales réformes fiscales survenues au Canada depuis la Seconde Guerre mondiale[3].

Dans l’introduction de son étude, Ilzetzki souligne que les réformes fiscales occupent le devant de la scène alors que les dettes publiques augmentent dans le monde entier. Ce constat a été effectué avant la pandémie de la COVID 19. Cette dernière ayant pour effet d’accélérer fortement ce phénomène, cela laisse les gouvernements d’à peu près partout sur la planète avec d’importants besoins en recettes fiscales. Ce besoin de recettes, rappelons-le, constitue le principal déclencheur de réformes fiscales selon le chercheur, conduisant à ce qu’il qualifie de « reform moment ». Les prochaines années pourraient ainsi être propices à la mise en œuvre d’un bon nombre de réformes fiscales qui permettront de tester encore davantage la robustesse des résultats d’Ilzetzki.

par Tommy Gagné-Dubé

Référence
Coup d’œil sur : ILZETZKI, Ethan. « Tax reform and the political economy of the tax base », (2018), vol. 164 Journal of Public Economics 197.

[1] L’équité verticale signifie que le poids de la charge fiscale exigée d’un contribuable augmente avec sa capacité de payer.

[2] L’équité horizontale signifie que les contribuables que l’on juge être dans des situations de vie comparables doivent être soumis à des charges fiscales équivalentes.

[3] William WATSON, « How to Sell Tax Reform: Lessons from Canada’s Three Major Postwar Tax Reforms. », dans E.A. HEAMAN et David TOUGH, dir., Who Pays for Canada? Taxes and Fairness, McGill-Queen’s University Press, Montréal; Kingston; London; Chicago, 2020, p.153

À PROPOS DE CETTE PUBLICATION
Qu’il s’agisse de travaux de recherches sur des aspects fondamentaux des finances publiques ou des éléments plus pointus de la fiscalité, qu’ils soient récents ou pas et qu’ils soient ancrés dans n’importe quelle discipline, l’équipe de la Chaire en fiscalité et en finances publiques partage les constats intéressants tirés des textes consultés dans le cadre de ses projets.

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