Taxe sur les services numériques

Certaines multinationales sont en mesure d’entretenir des relations directes avec leurs clients par le moyen d’outils numériques (plateformes de médias sociaux, moteurs de recherche, places de marché virtuelles), minimisant l’importance d’une présence physique. Dans un tel contexte, la présence d’un établissement stable ouvrant droit à l’imposition par un État perd de sa pertinence.

Afin de pallier cette iniquité de traitement fiscal favorisant certaines sociétés étrangères et contribuant à l’érosion de leur base fiscale, plusieurs juridictions ont mis en place des mécanismes fiscaux permettant de couvrir les revenus tirés de services numériques par des entreprises sans établissement stable. D’autres projettent de le faire. L’introduction d’établissements permanents numériques (digital PE) et le recours à des retenues fiscales sur les paiements visant les services numériques dispensés par des non-résidents sont utilisés notamment et ouvrent droit à l’imposition sur le revenu selon les règles locales. Parmi les mécanismes de taxation directe, l’on retrouve aussi les taxes sur les services numériques (TSN).

L’utilisation de ces prélèvements, qui sont en porte-à-faux des normes fiscales internationales usuelles, pose certaines difficultés, incluant une potentielle double imposition.

Information à jour en date du 26 juillet 2024[1]

L’OCDE cherche une solution consensuelle permettant d’intégrer l’économie numérique aux règles fiscales internationales depuis maintenant plus de 10 ans[2]. À la suite de reports, les travaux relatifs à la définition et à l’application d’un droit d’imposition pour les juridictions où se déroulent des activités sans présence physique de grandes entreprises multinationales en sont actuellement au stade de la ratification d’une convention multilatérale (CML)[3]. Bien que cette convention permettrait la prise d’effet des nouvelles règles d’imposition (Pilier 1) il est toutefois à souligner que ces règles font toujours l’objet de contestations par certaines juridictions.

En théorie, le mise en place du Pilier 1 permettrait au Canada d’imposer une part du profit résiduel présumé d’un groupe multinational interagissant à distance avec ses clients canadiens (qu’il détienne un établissement stable au Canada ou non). Le mécanisme proposé élimine la double imposition et limite le fardeau de conformité pour les sociétés assujetties.

Dans l’attente de la mise en œuvre du Pilier 1, la France (2019), l’Italie (2020), le Royaume-Uni (2020), et l’Espagne (2021) ont implanté des TSN visant les revenus bruts tirés de services d’intermédiation et de publicité ciblée offerts par des sociétés non-résidentes[4]. Il en va de même de la Turquie (2020) et l’Inde (2020)[5] dont les TSN visent, de surcroît, les services numériques tel le partage de contenus audiovisuels en ligne. De plus, l’Autriche (2020) applique un prélèvement limité à la publicité ciblée.

Toutes ces juridictions ont indiqué qu’elles abandonneraient leurs TSN à la suite de l’éventuelle mise en œuvre du Pilier 1 et celles-ci ne font actuellement pas l’objet de représailles commerciales de la part des États-Unis qui sont néanmoins préoccupés de l’impact de ce type de prélèvements sur les revenus de leurs grandes sociétés numériques et de l’impôt que celles-ci leur versent[6].   

D’autres juridictions ont mis en place des prélèvements semblables. Les TSN actuellement utilisées par le Kenya, le Népal, la Tanzanie, l’Ouganda, la Colombie et la Sierra Leone sont cependant associées à la proposition de l’Organisation des Nations Unies (ONU). L’ONU propose l’imposition des bénéfices tirés d’activités de type « automated digital services » (ADS), soit celles qui permettent à un groupe multinational d’offrir des produits et services avec peu ou pas d’infrastructure à une large base de clients éloignés[7]. Si l’intermédiation et la monétisation de données utilisateurs sont intégrées à la base d’imposition proposée par l’ONU, celle-ci est beaucoup plus large, englobant plusieurs types de services numériques. Dans ce cas, ces TSN pourraient subsister concurremment au Pilier 1.

Enfin, ajoutons que certaines juridictions appliquent des TSN visant uniquement certains services en lignes. À titre d’exemple, le Zimbabwe (2019), la Pologne (2020) et le Danemark (2024) appliquent un prélèvement sur les revenus bruts tirés de services de vidéo en flux tandis que les paris en ligne sont visés par l’Argentine (2020). De son côté, le Portugal (2021) assujettit les plates-formes d’échanges de vidéos sur leurs les revenus bruts tirés de publicités.

Malgré sa préférence pour la solution multilatérale développée par l’OCDE, le Canada, confronté aux délais entourant la mise en place du Pilier 1, a mis en place la Loi sur la taxe sur les services numériques[8] qui a été adoptée le 20 juin 2024 et est entrée en vigueur par décret de la gouverneure générale en conseil le 28 juin 2024. Cette législation résulte d’un engagement pris par le parti libéral du Canada dans le cadre de la campagne électoral de 2019[9]. Depuis cette date, l’engagement d’imposer les sociétés numériques internationales sur les recettes générées au Canada a été réitéré à maintes reprises par la suite dans le cadre du dépôt de documents budgétaires[10].

La première année d’application de la Loi est 2024 et la déclaration à produire au plus tard le 30 juin 2025 devra inclure les revenus de 2022 et 2023. Les contribuables (ou son groupe) ciblés sont ceux dont le revenu total consolidé annuel est de 750 M d’euros et qui génèrent plus de 20 M$ de revenus visés de source canadienne.

Cette TSN de 3 % s’applique essentiellement aux mêmes revenus que la TSN utilisée par la France, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne. L’on peut par conséquent présumer que la majorité des revenus proviendra des GAFAM (Google-Alphabet, Apple, Facebook-Meta, Amazon et Microsoft)[11]. On estime que celle-ci pourrait permettre de hausser les revenus du gouvernement fédéral de 7,2 milliards sur cinq ans[12].

Il est à noter que certains pays ont aussi annoncé la mise en place d’une forme de TSN mais demeurent hésitants à la mettre en vigueur :

  • La Hongrie a adopté une TSN en 2017, mais ramenée son taux à 0 % en 2019;
  • La Norvège et Nouvelle-Zélande ont annoncé le déploiement de TSN dans le cas où l’OCDE n’en arriverait pas à un consensus;

Des taxes annoncées au Brésil, à Chypre, en Belgique, en Tchéquie, en Slovaquie, et en Pologne (élargissement de la taxe actuelle) n’ont pas encore été adoptées.

Notes :

[1] Cette note s’appuie sur une publication périodique de KPMG qui effectue un recensement en continu des développements en matière de taxation de l’économie numérique. Voir : KPMG, Taxation of the digitalized economy <https://kpmg.com/kpmg-us/content/dam/kpmg/pdf/2023/digitalized-economy-taxation-developments-summary.pdf>.

[2] OCDE (2013), Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Action 1 p.15.

[3] Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Déclaration de résultat sur la Solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie ˂https://www.oecd.org/fr/fiscalite/beps/declaration-de-resultat-sur-la-solution-reposant-sur-deux-piliers-pour-resoudre-les-defis-fiscaux-souleves-par-la-numerisation-de-l-economie-juillet-2023.pdf˃.

[4] Ces TSN reprennent en substance les éléments contenus dans la proposition de l’Union européenne émise en 2018 et qui a été rejetée par le Conseil de l’Union européenne. Voir : Conseil de l’Union européenne, Chronologie – Fiscalité de l’économie numérique ˂https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/digital-taxation/timeline/˃.

[5] Un prélèvement visant exclusivement les revenus de publicité était en place en Inde depuis 2016. À compter de 2020 la mesure a été élargie aux services numériques, aux activités d’intermédiation et la vente de biens tangibles par le moyen d’Internet.

[6] U.S. Department of the Treasury, Joint statement from the United States, Austria, France, Italy, Spain and the United Kingdom, regarding a compromise on a transitional approach to existing unilateral measures during the interim period before pillar 1 is in effect ˂https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy0419˃ (21 oct. 2021) et U.S. Department of the Treasury, Joint statement from the United States and Turkey regarding a compromise on a transitional approach to existing unilateral measures during the interim period before pillar 1 is in effect ˂https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy0500#:~:text=The%20United%20States%20and%20Turkey%20have%20agreed%20that%20the%20same,regarding%20the%20Digital%20Service%20Tax˃ (22 nov. 2021) et Office of the United States Trade Representative, USTR welcomes agreement with India on digital services taxes ˂https://ustr.gov/about-us/policy-offices/press-office/press-releases/2021/november/ustr-welcomes-agreement-india-digital-services-taxes˃ (24 nov. 2021).

[7] United Nations, 27th Session of the committee of experts on international cooperation in tax matters ˂https://financing.desa.un.org/sites/default/files/2023-11/CRP.40%20Combined%20Final%20with%20all%20annexes-Copy.pdf˃.

[8] Lois du Canada (2024), c.15. Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023 ˂ https://www.parl.ca/documentviewer/fr/44-1/projet-loi/C-59/sanction-royal˃.

[9] Canada, ministère des Finances, Loi de la taxe sur les services numériques ˂https://www.canada.ca/fr/ministere-finances/nouvelles/2021/12/loi-de-la-taxe-sur-les-services-numeriques.html˃. 

[10] Il est aussi à noter qu’en vertu de la Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, L.C. (2023) c. 8, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes exigera que les services de diffusion continue en ligne contribuent de 5 % de leurs revenus canadiens afin de soutenir le système de radiodiffusion canadien à compter du 1er septembre 2024.

[11] HM Revenue & Customs, National audit Office (2022), Investigation into the Digital Services Tax ˂https://www.nao.org.uk/wp-content/uploads/2022/11/Investigation-into-the-digital-services-tax.pdf˃.

[12] Directeur parlementaire du Budget, Taxe sur les services numériques ˂https://distribution-a617274656661637473.pbo-dpb.ca/706b05ab30ef0336a7a93bab293ef517467f1c34bef908505007957226deb0c7˃.

 

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