Taxe sur les services numériques
Certaines multinationales sont en mesure d’entretenir des relations directes avec leurs clients par le moyen d’outils numériques (plateformes de médias sociaux, moteurs de recherche, places de marché virtuelles), minimisant l’importance d’une présence physique. Dans un tel contexte, la présence d’un établissement stable ouvrant droit à l’imposition par un État perd de sa pertinence.
Afin de pallier cette iniquité de traitement fiscal favorisant certaines sociétés étrangères et contribuant à l’érosion de leur base fiscale, plusieurs juridictions ont mis en place des mécanismes fiscaux permettant de couvrir les revenus tirés de services numériques par des entreprises sans établissement stable. D’autres projettent de le faire. L’introduction d’établissements permanents numériques (digital PE) et le recours à des retenues fiscales sur les paiements visant les services numériques dispensés par des non-résidents sont utilisés notamment et ouvrent droit à l’imposition sur le revenu selon les règles locales. Parmi les mécanismes de taxation directe, l’on retrouve aussi les taxes sur les services numériques (TSN).
L’utilisation de ces prélèvements, qui sont en porte-à-faux des normes fiscales internationales usuelles, pose certaines difficultés, incluant une potentielle double imposition.
Information à jour en date du 30 juin 2025[1]
L’OCDE cherche une solution consensuelle permettant d’intégrer l’économie numérique aux règles fiscales internationales depuis plus de 10 ans[2]. À la suite de reports, les travaux relatifs à la définition et à l’application d’un droit d’imposition pour les juridictions où se déroulent des activités sans présence physique de grandes entreprises multinationales en sont toujours au stade de négociations[3].
En théorie, la mise en place du Pilier 1 permettrait au Canada d’imposer une part du profit résiduel présumé d’un groupe multinational interagissant à distance avec ses clients canadiens (qu’il détienne un établissement stable au Canada ou non). Le mécanisme proposé élimine la double imposition et limite le fardeau de conformité pour les sociétés assujetties.
Dans l’attente de la mise en œuvre du Pilier 1, la France (2019), l’Italie (2020), le Royaume-Uni (2020), et l’Espagne (2021) ont implanté des TSN visant les revenus bruts tirés de services d’intermédiation et de publicité ciblée offerts par des sociétés non-résidentes[4]. Il en va de même de la Turquie (2020) dont la TSN vise, de surcroît, les services numériques offerts par abonnements, incluant les vidéos en flux et les jeux en ligne.
Toutes ces juridictions ont indiqué qu’elles abandonneraient leurs TSN à la suite de l’éventuelle mise en œuvre du Pilier 1 et ne font actuellement pas l’objet de représailles commerciales de la part des États-Unis en vertu d’une trêve qui est échue depuis le 1er juillet 2024[5]. Toutefois, les États-Unis sont préoccupés de l’impact de ce type de prélèvements sur les revenus de leurs grandes sociétés numériques et l’impôt que celles-ci leur versent[6].
Outre ces 5 pays, d’autres juridictions ont mis en place des prélèvements semblables. Les TSN actuellement utilisées par le Népal (2022), la Tanzanie (2023), l’Ouganda (2023), la Colombie (2024) et la Sierra Leone (2024) sont cependant associées à la proposition de l’Organisation des Nations Unies (ONU). L’ONU propose l’imposition des bénéfices tirés d’activités de type « automated digital services » (ADS), soit celles qui permettent à un groupe multinational d’offrir des produits et services avec peu ou pas d’infrastructure à une large base de clients éloignés[7]. Si l’intermédiation et la monétisation de données utilisateurs sont intégrées à la base d’imposition proposée par l’ONU, celle-ci est beaucoup plus large, englobant plusieurs types de services numériques (abonnements à des contenus numériques, hébergement de données, etc.). Dans ce cas, ces TSN pourraient subsister, du moins en partie, concurremment à la mise en place éventuelle du Pilier 1.
Enfin, ajoutons que certaines juridictions appliquent des TSN limitées à certains services en lignes. À titre d’exemple, la Hongrie (2017) et l’Autriche (2020) appliquent des prélèvements visant uniquement les revenus tirés de la publicité. De plus, la Pologne (2020), la Suisse (2024) et le Danemark (2024) appliquent un prélèvement sur les revenus bruts tirés de services de vidéo en flux tandis que les paris en ligne sont visés par l’Argentine (2020). De leur côté, le Portugal (2021) assujettit à la fois les plates-formes d’échanges de vidéos sur leurs les revenus bruts tirés de publicités et les services de vidéo en flux, tandis que le Zimbabwe (2019) assujettit les plateformes de commerce électronique et la diffusion de contenu par satellite.
Il est à noter que certains pays ont aussi annoncé la mise en place d’une forme de TSN mais demeurent hésitants à la mettre en vigueur. Ainsi, bien que des taxes de ce type aient notamment été annoncées ou proposées au Brésil, en Belgique, en Tchéquie, au Rwanda, en Norvège et en Pologne (élargissement de la taxe actuelle), celles-ci n’ont pas encore été adoptées.
Malgré sa préférence pour la solution multilatérale développée par l’OCDE, le Canada, confronté aux délais entourant la mise en place du Pilier 1, a mis en place la Loi sur la taxe sur les services numériques[8] qui a été adoptée le 20 juin 2024 et est entrée en vigueur par décret de la gouverneure générale en conseil le 28 juin 2024. Cette législation résulte d’un engagement pris par le parti libéral du Canada dans le cadre de la campagne électorale de 2019[9]. Depuis cette date, l’engagement d’imposer les sociétés numériques internationales sur les recettes générées au Canada a été réitéré à maintes reprises par la suite dans le cadre du dépôt de documents budgétaires[10].
Le prélèvement de 3 % s’applique essentiellement aux mêmes revenus que la TSN utilisée par la France, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne. Les contribuables (ou leurs groupes) dont le revenu total consolidé annuel est de 750 M d’euros et qui génèrent plus de 20 M$ de revenus visés de source canadienne sont ciblés.
Les États-Unis ont fait état de leurs préoccupations habituelles envers cette taxe et, de surcroît, considèrent que la TSN canadienne ne respecte pas l’Accord Canada-États-Unis-Mexique sur le commerce[11]. Quelques heures avant la date d’échéance de la première déclaration de TSN à produire (30 juin 2025), le gouvernement canadien a annoncé son intention d’abroger la Loi afin de faciliter les négociations commerciales avec les États-Unis[12].
Conséquemment, le versement de la TSN payable pour l’année 2024 qui devait comprendre les prélèvements relatifs aux années 2022 et 2023 (la Loi devait s’appliquer rétroactivement) a été suspendu.
Cette taxe devait permettre de hausser les revenus du gouvernement fédéral de 7,2 milliards sur cinq ans[13].
Notes :
[1] Ce texte s’appuie sur une publication périodique de KPMG qui effectue un recensement en continu des développements en matière de taxation de l’économie numérique. Voir : KPMG, Taxation of the digitalized economy (11 juin 2025). Certains pays ont implanté des mécanismes permettant d’imposer leurs taxes de vente (inscription de non-résidents) ou encore leurs impôts sur le revenu (établissement permanent digital, retenues fiscales) à des sociétés non-résidentes qui mènent des activités à distance sur leurs territoires. Ces prélèvements ne sont pas visés par ce texte.
[2] OCDE (2013), Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Action 1, p.15.
[3] OCDE, Mise à jour sur le Pilier Un des Co-Présidents du Cadre inclusif sur le BEPS (13 janvier 2025) et Tax Foundation Europe, Digital Services Taxes in Europe, 2025 (6 mai 2025).
[4] Ces TSN reprennent en substance les éléments contenus dans la proposition de l’Union européenne émise en 2018 et qui a été rejetée par le Conseil de l’Union européenne. Voir : Conseil de l’Union européenne, Chronologie – Fiscalité de l’économie numérique (11 mars 2025). Il est à noter que la France applique aussi une taxe sur les services de vidéos en flux.
[5] U.S. Department of the Treasury, Updated joint statement from the United States, Austria, France, Italy, Spain and the United Kingdom, regarding a compromise on a transitional approach to existing unilateral measures during the interim period before pillar 1 is in effect (15 février 2024) et U.S. Department of the Treasury, Updated joint statement from the United States and Türkiye regarding a compromise on a transitional approach to existing unilateral measures during the interim period before pillar 1 is in effect (12 mars 2024).
[6] The Hill, Canada’s walk back of digital services tax boosts Big Tech, spells trouble for similar efforts merica has found a new lever to squeeze foreigners for cash (7 juillet 2025).
[7] United Nations, 27th Session of the committee of experts on international cooperation in tax matters (2 octobre 2023).
[8] Lois du Canada (2024), c.15. – Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023 (20 juin 2024).
[9] Canada, ministère des Finances, Loi de la taxe sur les services numériques (14 février 2022).
[10] Il est aussi à noter qu’en vertu de la Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, L.C. (2023) c. 8, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes exige aussi que les services de diffusion continue en ligne contribuent de 5 % de leurs revenus canadiens afin de soutenir le système de radiodiffusion canadien depuis le 1er septembre 2024.
[11] Office of the United States Trade Representative, United States Requests USMCA Dispute Settlement Consultations on Canada’s Digital Services Tax (30 août 2024).
[12] Canada, ministère des Finances, Le Canada annule la taxe sur les services numériques pour faire progresser les négociations commerciales plus larges avec les États-Unis (29 juin 2025).
[13] Directeur parlementaire du Budget, Taxe sur les services numériques (17 octobre 2023).