Regard CFFP no R2020-06
COVID-19 : Érosion de la base d’imposition et transfert de pertes des multinationales vers le Canada
Michaël Robert-Angers et Lyne Latulippe
Résumé
Comme d’autres stratégies d’évitement fiscal, la manipulation des prix de transfert contribue à l’érosion de la base fiscale des juridictions à fiscalité élevée. La comparaison, entre les prix utilisés en contexte de pleine concurrence et les prix utilisés entre sociétés liées, a révélé que ces derniers varient systématiquement en lien avec le taux d’imposition des juridictions où sont implantées les filiales des multinationales. Pour un différentiel de taux d’imposition de 1 %, les sociétés résidentes de juridictions présentant le taux le plus élevé, paient leurs importations auprès de parties liées de 0,5 % à 6 % plus cher.
Ce texte se penche sur le phénomène de manipulation des prix de transfert, et plus particulièrement, sur une stratégie à laquelle les multinationales pourraient avoir recours en contexte de pandémie de la COVID-19. Dans ce cas, les pertes, plutôt que les profits, pourraient faire l’objet de transferts opportunistes entre juridictions. En contexte de récession, la valeur associée à la possibilité d’utiliser une perte pour réduire des revenus imposables, passés ou futurs, est moindre ou nulle dans les juridictions imposant plus faiblement les sociétés. Ainsi, en vue de réduire leur facture fiscale mondiale, certaines multinationales pourraient en effet chercher à déplacer les pertes dans les juridictions à imposition élevée.
D’abord, après avoir procuré quelques repères sur le transfert de profits entre juridictions par le recours aux entités à risque limité (ERL) au sein des chaînes de valeur des multinationales, le texte met en perspective la présence des ERL au Canada. On s’intéresse ensuite aux stratégies impliquant des ERL qui pourraient permettre de transférer au Canada une partie des pertes des groupes de sociétés multinationales (GSM) résultant de la pandémie de la COVID-19. À cet égard, les orientations en matière de prix de transfert fournies par l’OCDE, ainsi que celles provenant de la jurisprudence canadienne, sont brièvement présentées.
Cet examen met en lumière la prépondérance des arrangements juridiques sur la réalité économique au Canada. Par conséquent, l’analyse des contrats intersociétés demeure pertinente dans le cadre d’une vérification de prix de transfert. Si la loi et la jurisprudence canadienne offrent une certaine latitude aux multinationales en temps de croissance pour limiter l’attribution de profit à une ERL canadienne, en temps de récession, leur mise en application devrait toutefois permettre de limiter les pertes assumées par les ERL.