Fiscalité internationale : formule de répartition des profits et son impact
Coup d’œil sur un article de Kerrie Sadiq, Richard Krever and Devika Bhatia
Des règles de prix de transfert s’appliquent aux transactions intersociétés dans un groupe multinational pour fixer la valeur des biens et des services échangés entre les entités et déterminer le revenu imposable par entité. Malgré l’obligation d’utiliser des prix de pleine concurrence, il demeure des possibilités pour une multinationale de structurer ses transactions internes de façon à attribuer les bénéfices à ses entités situées dans les juridictions à faible imposition. De façon alternative, le recours à une formule de répartition des profits entre juridictions d’un groupe multinational est discuté depuis longtemps, mais les tentatives pour évaluer son impact se butent à plusieurs obstacles.
Les régimes d’impôt sur le revenu des sociétés sont basés sur la résidence du contribuable et la source du revenu. Un groupe multinational est considéré comme plusieurs entités distinctes et le revenu imposable est calculé par entité en ayant recours à des règles de prix de transfert pour les transactions intra-groupes. Une méthode différente d’imposition des sociétés multinationales a été examinée à plusieurs moments depuis l’instauration des régimes d’imposition au début du siècle dernier. L’attribution des bénéfices selon une formule de répartition considère la multinationale comme une entité unique et répartit les profits du groupe selon des facteurs tels que le capital, les ventes et le travail dans les diverses juridictions. Ainsi, selon cette méthode, une multinationale est envisagée non pas comme un assemblage d’une multitude d’entités distinctes transigeant entre elles, mais plutôt comme une seule et unique entreprise intégrée; dans cette perspective, les transactions intra-groupes sont ignorées et n’ont donc pas d’incidence sur le calcul des bénéfices. Lorsqu’un État considère seul ou en collaboration avec d’autres juridictions, l’implantation d’une formule de répartition, la question de l’impact sur les recettes fiscales est incontournable. Un système fondé sur une formule de répartition permettrait-il de contrer l’érosion de l’assiette fiscale et d’accroître significativement les recettes fiscales et dans quels pays ? Cet article démontre qu’il est malheureusement difficile de répondre de façon satisfaisante à cette question.
De quoi est-il question?
Les auteurs de l’article passent en revue plusieurs études qui tentent d’estimer l’impact sur les recettes fiscales des États d’une adoption hypothétique d’un système basé sur une formule de répartition. Cette analyse permet aux auteurs de soulever et d’examiner de nombreux obstacles inhérents à cet exercice d’estimation des recettes fiscales.
L’estimation des recettes fiscales additionnelles découlant d’un système de répartition est un exercice laborieux ne pouvant produire que des résultats imparfaits.
Comment l’analyse a-t-elle été effectuée?
Après une explication de la méthode de la formule de répartition ainsi qu’une analyse de ses tenants et aboutissants, les auteurs analysent les recherches antérieures qui ont tenté d’estimer l’impact éventuel sur les recettes fiscales des pays de la mise en œuvre d’une formule de répartition. Ils ciblent les obstacles auxquels se butent les chercheurs, notamment : la difficulté de consolider les bénéfices de toutes les entités d’une multinationale de façon juste à cause, entre autres, du manque de transparence relative à certaines données, de la difficulté à avoir les données globales ce qui amène plusieurs recherches à simuler une implantation régionale qui ne serait pas souhaitable (car elle permettrait à une multinationale d’allouer des bénéfices à l’extérieur de la zone d’adoption), de l’impossibilité de déterminer une formule à privilégier qui fixerait les facteurs de répartition et leur poids (capital, travail, ventes, autres), de la nécessité d’inclure ou non les ressources naturelles dans les facteurs, et de l’ajout d’un objectif de redistribution mondiale.
Que révèle la recherche?
La recherche révèle que la difficulté d’estimer l’impact sur les recettes fiscales des États est de deux ordres : premièrement, les renseignements nécessaires aux divers calculs ne sont pas disponibles, particulièrement pour les chercheurs, et deuxièmement, les calculs requièrent de prendre position quant aux facteurs et d’autres variables pour modéliser une formule de répartition alors que les préférences peuvent varier selon les pays ce qui explique par ailleurs que le consensus autour d’une formule est difficile à atteindre.
Quelques études estimant les effets d’une formule de répartition des profits

Source : SADIQ, K., KREVER, R. ET BHATIA, D. (2024)
Le plus grand obstacle à un passage de la méthodologie de répartition [actuelle] des bénéfices des multinationales à une répartition selon une formule n’est pas technique, mais plutôt politique.
Et puis maintenant?
La proposition actuelle de l’OCDE pour l’imposition des grandes multinationales qui comprend la répartition d’une partie des profits de la multinationale là où des ventes sont effectuées (Pilier Un du projet BEPS) ouvre la porte à une formule de répartition des profits. L’analyse du potentiel d’une formule de répartition à plusieurs facteurs revient à l’ordre du jour et s’en suit immanquablement la question de la quantification de son impact sur les recettes fiscales. À la question de savoir si les nombreux défis techniques inhérents à l’estimation des recettes fiscales d’une formule de répartition peuvent être surmontés, la réponse est assurément négative selon les auteurs de l’article. En revanche, malgré cette conclusion sans équivoque, force est de constater que le réel obstacle à l’adoption d’un nouveau système délaissant le principe imparfait des prix de transfert est de nature plutôt politique. Indéniablement, le système actuel permet aux sociétés multinationales d’organiser leurs affaires dans le but d’alléger leur fardeau fiscal de façon importante; ainsi, grâce à leur influence politique considérable, elles exercent une résistance majeure à la transformation du système actuel les avantageant. De toute façon, selon les auteurs, chercher à concevoir un modèle technique parfait faisant l’unanimité, sur lequel serait fondé un système de répartition des bénéfices des multinationales ne serait pas suffisant pour espérer mener à bien une telle transformation. Le travail de réforme du système actuel ne portera fruit que dans la mesure où il se fera aussi sur le plan politique.
par Marc Naccache
À PROPOS DE CETTE PUBLICATION
Qu’il s’agisse de travaux de recherches sur des aspects fondamentaux des finances publiques ou des éléments plus pointus de la fiscalité, qu’ils soient récents ou pas et qu’ils soient ancrés dans n’importe quelle discipline, l’équipe de la Chaire en fiscalité et en finances publiques partage les constats intéressants tirés des textes consultés dans le cadre de ses projets.