Coup d’œil sur la recherche 2023/04

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Les effets redistributifs de la transition de la taxe sur l’essence vers la taxe kilométrique
Coup d’œil sur un article de Gilbert Metcalf

La composition du parc de véhicules automobiles aux États-Unis se modifie, la proportion de véhicules électriques étant graduellement de plus en plus importante. Combiné à la meilleure efficacité des véhicules à combustion, ce changement affecte à la baisse les recettes tirées des taxes sur les carburants prélevées par les États américains et de la taxe d’accise fédérale qui alimente le Highway Trust Fund. La réduction annuelle des revenus de ce fonds, chargé du financement fédéral des autoroutes et du transport en commun, atteint en termes réels de 1 à 2 % des recettes. Dans ce contexte, certains avancent que l’introduction de la taxe kilométrique en remplacement d’une partie de la taxe d’accise constitue une réponse appropriée à la diminution des revenus. Toutefois, cette modification ne serait pas neutre en matière d’impacts redistributifs.

Cette étude s’intéresse au transfert de revenus entre citoyens qui serait associé à l’implantation d’une taxe kilométrique en vue de remplacer, en totalité ou en partie, les taxes d’accise sur les carburants aux États-Unis. Les estimations sont effectuées dans la perspective de maintenir (et non d’augmenter) les recettes versées au Highway Trust Fund. Par ailleurs, l’auteur limite son analyse aux véhicules des particuliers, laissant de côté les véhicules commerciaux.

De quoi est-il question?

Intuitivement, une réduction de la taxe d’accise fédérale de 10 cents le gallon ou 2,6 cents le litre, et l’introduction d’une taxe kilométrique au taux de 0,48 cent par mille ou 0,3 cent le km (le taux permettant de maintenir les prélèvements à leur niveau actuel) auraient un effet marginal sur la majorité des ménages. De façon générale, ceux-ci seront indifférents financièrement entre le paiement d’une taxe d’accise et son alternative kilométrique s’ils parcourent annuellement une distance qui s’approche de la moyenne (10 000 milles ou 16 093 km) et détiennent un véhicule qui présente une consommation standard (25 milles au gallon ou 9,4 L/100 km). Toutefois, les ménages présentent des caractéristiques différentes, certaines étant passablement éloignées du profil type. Ainsi, ceux qui détiennent un véhicule énergivore et parcourent plusieurs kilomètres par an bénéficieraient de l’implantation de la taxe kilométrique. Sans surprise, dans le cas des ménages qui détiennent plutôt un véhicule électrique et par conséquent ne paient pas la taxe d’accise fédérale, l’effet serait négatif sur le revenu.

La littérature sur les aspects redistributifs de l’implantation de la taxe kilométrique est limitée et ne fait pas consensus. Selon l’auteur, ceci serait en partie dû à la modification du parc automobile au cours des dix dernières années au profit de véhicules hybrides et électriques. La prise en compte de cette transformation dans les études réalisées au début des années 2000 pourrait venir modifier les résultats publiés.

Ainsi, certaines études moins récentes estimant que la taxe kilométrique est régressive pourraient arriver à des résultats inverses si on prenait en compte le profil moins énergivore de la flotte de véhicules actuelle.

Comment l’analyse a-t-elle été effectuée?

L’étude utilise des données provenant du National Household Travel Survey de 2017 qui contient des observations sur les résidents des 50 États américains, leurs habitudes de déplacement et les modes de déplacement utilisés. Des informations sur les caractéristiques des ménages, dont le revenu, et des véhicules détenus sont aussi contenues dans la base de données.

Dans un premier temps, l’auteur estime l’élasticité revenu de l’intensité en carburant des ménages (quantité de carburant consommé par mille parcouru). Lorsque l’on considère l’ensemble des niveaux de revenu, cette élasticité théorique est faiblement négative (-0,02), indiquant qu’une hausse de revenu du ménage de 10 % entraîne une légère diminution de 0,2 % de la quantité de carburant utilisée.

L’auteur évalue ensuite le transfert de la charge de taxe supportée par les ménages qui est associée au passage à la taxe kilométrique. Une fonction mesurant la variation du bien-être des ménages est utilisée, une diminution des prélèvements (dRi) correspondant à une hausse équivalente du bien-être du ménage (Wi).

∆Wi – dRi = – (tMMi + dtFFi)

Le taux de la taxe kilométrique (tM) est fixé à 0,48 cent par mille pour une réduction du taux de taxe d’accise (dtF) de 10 cents le gallon. En fonction du nombre de milles parcouru (Mi) et de la consommation de carburant du ménage (Fi), il est possible d’estimer la variation des prélèvements des ménages de l’échantillon présentant un niveau de revenu donné.

L’auteur évalue aussi l’impact d’un scénario où les véhicules hybrides et électriques composent 15 % de la flotte et où l’efficacité des véhicules à combustion est augmentée de 40 %. Ce scénario suppose que le gouvernement fédéral offre des incitatifs à l’acquisition de véhicules hybrides et électriques. À son tour, le type d’incitatif offert exercera une influence sur le profil des ménages qui feront l’acquisition de ces véhicules. Par exemple, un crédit d’impôt non remboursable, tel qu’actuellement offert, favorise l’acquisition par les ménages dont le revenu est plus élevé.

Que révèle la recherche?

L’auteur évalue que les ménages présentant les revenus les plus élevés utilisent des véhicules plus économes en carburant. Ceci est illustré par la figure suivante qui montre l’élasticité revenu de l’intensité en carburant des ménages, par tranche de revenu.

Impact du revenu du ménage sur l’intensité en carburant

Source : Metcalf, 2022

La demande pour les véhicules les plus énergivores serait donc négative, mis à part lorsque le revenu annuel des ménages se situe entre 10 000 $ et 15 000 $.

Quant au transfert de charge fiscale entre les ménages, ceux qui présentent des revenus se situant entre 125 000 $ et 200 000 $ seraient plus susceptibles (dans plus de 54 % des cas) de subir une hausse de leur prélèvement à la suite de l’implantation partielle de la taxe kilométrique. En revanche, la majorité des ménages dont le revenu familial se situe entre 10 000 $ et 15 000 $ verraient leurs prélèvements diminuer.

Ainsi, l’auteur évalue que le remplacement de la taxe d’accise serait modérément progressif pour la majeure partie de la distribution de revenu.

Par ailleurs, les conducteurs des zones rurales seraient plus susceptibles de profiter du changement. Finalement, une plus grande pénétration des véhicules électriques viendrait accroître la progressivité de la taxe kilométrique si la détention de ces véhicules est concentrée au niveau des ménages à hauts revenus.

Et puis maintenant?

Comme aux États-Unis, les revenus tirés de la taxe sur les carburants au Québec plafonnent, et le gouvernement est à la recherche de sources de financement alternatives. L’implantation de la taxe kilométrique présente notamment des défis en matière de coût élevé de mise en place et de respect de la vie privée. Toutefois, les résultats de cette étude laissent entendre que l’aspect redistributif pourrait ne pas être un enjeu.

par Michaël Robert-Angers

À PROPOS DE CETTE PUBLICATION
Qu’il s’agisse de travaux de recherches sur des aspects fondamentaux des finances publiques ou des éléments plus pointus de la fiscalité, qu’ils soient récents ou pas et qu’ils soient ancrés dans n’importe quelle discipline, l’équipe de la Chaire en fiscalité et en finances publiques partage les constats intéressants tirés des textes consultés dans le cadre de ses projets.

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