Immigration et finances publiques dans les pays de l’OCDE
Coup d’œil sur un article d’Hyppolite D’Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly
La plupart des 37 pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement économique (OCDE) sont en situation de déficit structurel, ce qui implique l’existence d’un déséquilibre fondamental entre leurs recettes et leurs dépenses publiques. Malgré cela, ils accueillent plus de 40 % de tous les immigrants dans le monde. Est-ce que les flux d’immigration influencent négativement les finances publiques dans ces pays ? La question est importante puisque les sondages montrent que, quelle que soit l’opinion des répondants sur l’immigration, son effet sur les finances publiques apparaît comme la préoccupation principale.
Dans un article paru en 2019 dans le Journal of Economic Dynamics and Control, trois chercheurs en économie analysent l’influence de l’immigration sur plusieurs indicateurs de finances publiques à partir de données de 19 pays de l’OCDE. Leur méthodologie empirique permet de tenir compte du fait que les immigrants sont susceptibles de vivre pendant plusieurs années dans le pays d’accueil.
Le dividende démographique de l’immigration
Plusieurs recherches étudiant l’impact de l’immigration sur les finances publiques reposent sur des analyses coûts-bénéfices ou des modèles d’équilibre général calculable. Les résultats des analyses coût-bénéfice montrent que la contribution nette de l’immigration est relativement faible, ce qui peut s’expliquer par le poids démographique de la population concernée. Si les immigrants ne représentent que 10 % de la population totale, leur effet sur les finances publiques ne peut être que faible.
Les résultats d’autres études appliquant un modèle d’équilibre général dépendent fortement de paramètres non observables, comme le degré de complémentarité entre les immigrants et les travailleurs du pays d’accueil.
L’analyse de D’Albis, Boubtane et Coulibaly utilisent une approche différente, mais complémentaire : un modèle structurel à vecteur autorégressif (VAR). Ils évaluent ainsi les effets économiques et fiscaux qui découlent de l’augmentation du nombre de travailleurs due aux flux nets de migrants.
Afin de comprendre les mécanismes expliquant leurs résultats empiriques, ils développent un cadre théorique. Ce cadre leur permet d’identifier sous quelles conditions l’immigration entraine un dividende démographique positif.
Une hausse de la proportion de la population en âge de travailler peut générer un dividende démographique par son impact positif sur la croissance économique.
Comment l’analyse a-t-elle été effectuée?
Dans les modèles structurels VAR, les variables sont traitées symétriquement, de telle sorte que chacune d’entre elles est expliquée par ses propres valeurs passées et par les valeurs passées des autres variables explicatives. Les chercheurs estiment leur modèle à partir de données sur les finances publiques, l’économie et la démographie de 19 pays membres de l’OCDE, de 1980 à 2015.
Les données fiscales incluent les achats du gouvernement, les transferts payés et les recettes fiscales perçues par les administrations publiques. Les dépenses publiques sociales pour les personnes âgées, les familles, les travailleurs et le chômage sont également considérées. Des variables économiques (PIB, emploi total et taux de chômage) et démographiques (population en âge de travailler, migration) sont aussi prises en compte. Le flux net de migrants est évalué à l’aide de données sur la migration nette, exprimée en taux pour 1000 habitants.
Le modèle permet de simuler un choc exogène positif sur l’entrée d’immigrants, soit 1 pour 1000 habitants, et d’en mesurer l’impact moyen au fil du temps sur les finances publiques et l’économie de 19 pays de l’OCDE.
Que révèle la recherche?
L’augmentation du bassin de main-d’œuvre à la suite d’un choc migratoire amène, selon les auteurs, un dividende démographique. En d’autres mots, les immigrants sont principalement en âge de travailler et ils augmentent ainsi le nombre de travailleurs dans le pays pouvant entrainer de la croissance économique.
Comme le montre la figure ci-dessous, le solde budgétaire augmente après cette croissance du bassin de main-d’œuvre et permet la réduction des transferts par habitant.
L’impact d’un choc migratoire sur le solde budgétaire, en pourcentage du PIB
Source : D’Albis, Boubtane et Coulibaly, 2019
Le choc migratoire entraine une hausse du solde budgétaire en pourcentage du PIB, jusqu’à 3 ans après le choc initial.
Par la suite, les résultats ne sont pas significativement différents de zéro. La croyance que les finances publiques sont détériorées par l’immigration au sein des pays de l’OCDE de 1980 à 2015 n’a donc pas été observée par les auteurs. Ces derniers analysent l’effet sur les transferts par habitant versés par le gouvernement et démontrent que le choc migratoire réduit les dépenses liées au vieillissement de la population en augmentant le nombre de travailleurs participants aux revenus de l’État, tandis qu’il accroît les dépenses liées aux familles. De plus, les dépenses consacrées aux programmes actifs du marché du travail s’accroissent, tandis que les dépenses associées au chômage diminuent. Le choc migratoire a également un effet positif sur la croissance économique : il entraine une hausse du PIB de 0,25 % la première année et de 0,31 % après un an.
Le cadre théorique développé afin d’interpréter les résultats empiriques repose sur un modèle démographique à générations imbriquées. Il suggère que le choc migratoire a un effet positif sur le PIB et le solde budgétaire lorsque la croissance démographique du pays d’accueil est faible et que ses dépenses dédiées aux populations jeunes et âgées sont importantes. Pour les auteurs, ces résultats indiquent qu’étant donné leur structure démographique et l’importance de leurs transferts à la population hors marché du travail, les pays de l’OCDE sont particulièrement susceptibles de recevoir des dividendes démographiques de la migration internationale.
Et puis maintenant?
Une des principales limites de cette étude est que ses résultats s’appliquent principalement aux petits chocs migratoires et ne peuvent être utilisés pour tirer des conclusions sur les grands flux migratoires internationaux. Toutefois, elle ouvre la voie à d’autres recherches, par exemple pour déterminer si les effets des migrations internationales varient selon les États, et pourrait permettre de raffiner les modèles de déficits budgétaires et de participation au marché du travail par pays.
Finalement, les résultats des chercheurs donnent une justification supplémentaire aux politiques d’immigration, qui sont souvent mises de l’avant par les gouvernements afin de diminuer les impacts du vieillissement de la population sur le marché du travail. Dans un contexte où plusieurs employeurs, tant au Canada qu’au Québec, ont du mal à pourvoir des postes vacants, un bassin de travailleurs supplémentaires pourrait avoir un impact positif significatif sur l’emploi, mais aussi sur les finances publiques.
par Frédérick Hallé-Rochon
À PROPOS DE CETTE PUBLICATION
Qu’il s’agisse de travaux de recherches sur des aspects fondamentaux des finances publiques ou des éléments plus pointus de la fiscalité, qu’ils soient récents ou pas et qu’ils soient ancrés dans n’importe quelle discipline, l’équipe de la Chaire en fiscalité et en finances publiques partage les constats intéressants tirés des textes consultés dans le cadre de ses projets.