L’influence d’un leader national sur le comportement fiscal des citoyens
Coup d’œil sur un article du Journal of Business Ethics : FARRAR, J., MASSEY, D. W., ERROL, O. et THORNE, L. (2021). The Association Between Vertical Equity and Presidential Voting Behavior and Taxpayers’ Compliance. Journal of Business Ethics, 172(1), 101-114.
L’ex-président des États-Unis Donald Trump est le seul président depuis Nixon à n’avoir rendu aucune de ses déclarations d’impôt publiques. À la suite de commentaires de M. Trump, plusieurs ont conclu qu’il tentait de cacher sa non-conformité, allant même jusqu’à l’accuser d’évasion fiscale. Peu importe la situation réelle, ceci offrit à des chercheurs la possibilité d’évaluer pour la toute première fois les liens entre la perception d’équité verticale, l’identité politique et l’intention de conformité fiscale des contribuables américains.
Cette recherche publiée dans le Journal of Business Ethics est la première à évaluer le lien entre l’identification sociale à un leader politique et l’intention de conformité fiscale des citoyens. L’analyse contribue à améliorer notre compréhension de la différence qu’il pourrait y avoir entre l’influence d’un leader élu par ses subordonnés, en contraste avec un leader nommé par des parties prenantes, dans le contexte de l’équité fiscale.
Dans la littérature, l’impact des actions d’un leader politique sur les citoyens est souvent comparé à celui des actions d’un leader organisationnel sur ses employés. Les actions du leader exerceraient une influence sur le comportement de tous les employés subordonnés. Toutefois, un facteur important qui pourrait modifier ces conclusions est qu’un leader politique soit choisi par une majorité de citoyens, et non nommé par les parties prenantes. Les citoyens pourraient donc potentiellement élire un représentant politique ayant un comportement similaire au leur, inversant l’origine de l’impact comportemental. De plus, la littérature concernant l’équité verticale est abondante, mais utilise très rarement un leader politique comme point de référence.
Dans le cadre de cette recherche, les auteurs se sont penchés sur la perception d’équité verticale, c’est-à-dire à quel point les participants au sondage croyaient que le président, reconnu pour avoir un revenu et un capital largement plus élevé que la moyenne, avait payé sa juste part d’impôt. Cette juste part peut varier d’un individu à l’autre et n’est pas liée à la progressivité réelle du barème d’imposition.
Considérant la position théorique de citoyen modèle du président, l’appartenance politique pourrait exercer une influence sur la conformité fiscale des particuliers.
Comment l’analyse a-t-elle été effectuée?
Les chercheurs ont sondé un échantillon de 600 citoyens américains ayant des caractéristiques représentatives de celles de la population des États-Unis selon le recensement de 2010. Notamment, 45 % des répondants avaient voté pour Trump, comparativement à 46 % des électeurs américains.
Le sondage a été divisé en trois parties. D’abord, les participants devaient lire une mise en situation décrivant un contribuable exploitant une entreprise transigeant uniquement par argent comptant qui devait préparer ses déclarations d’impôt. Les répondants devaient indiquer leur niveau d’accord avec quatre affirmations en regard aux intentions de conformité fiscale du personnage mis en scène.
Ensuite, les participants devaient répondre à des questions sur leur perception du comportement fiscal du président.
Les chercheurs n’ont pas trouvé de différence significative entre les réponses des participants estimant que M. Trump payait assez d’impôt et celles des répondants disant qu’il en payait plus que nécessaire, et ont donc regroupé leurs réponses sur les intentions de conformité.
Finalement, les répondants devaient divulguer s’ils avaient voté pour Trump, pour quelqu’un d’autre ou s’ils n’avaient pas voté. Cette fois, les chercheurs ont constaté qu’il n’y avait pas de différence significative entre les réponses de ceux qui n’avaient pas voté pour Trump, et les deux réponses négatives ont été fusionnées en une seule variable dans le cadre de l’analyse.
Que révèle la recherche?
Dans le graphique suivant, les auteurs présentent l’impact de l’identité politique (voter pour le président ou pas) et de la perception du comportement fiscal du président (il a payé moins que sa juste part ou il a payé sa juste part) sur les intentions de conformité. Pour les répondants qui n’ont pas voté pour Trump, il n’y a pas de différence significative dans les intentions de conformité, peu importe la perception du comportement fiscal du président.
Intentions de conformité selon l’identification au président et la perception de son comportement

Source : Adapté de Farrar, Massey, Errol et Thorne, 2021
Les contribuables considérant le comportement de l’ex-président inéquitable et ayant voté pour lui ont des intentions de conformité fiscale plus faibles que les autres.
Les résultats de la recherche valident donc l’hypothèse de départ des chercheurs. Toutefois, uniquement à partir de cette analyse, il est impossible de tirer une conclusion sur un lien de causalité entre ces variables. Les auteurs proposent plusieurs explications : les contribuables ayant des comportements fiscaux déjà non conformes ont une plus grande tendance à voter pour un candidat ayant un comportement similaire au leur. Aussi, le comportement d’un leader politique non conforme peut encourager les contribuables ayant voté pour lui à l’imiter.
Et puis maintenant?
Cette analyse ouvre la voie pour des recherches plus poussées sur l’influence qu’ont les leaders politiques sur leurs partisans et sur la population en général, que ce soit au niveau du comportement fiscal, de l’intention de vote ou de la perception d’équité.
Aussi, les auteurs recommandent fortement aux leaders politiques d’avoir une bonne connaissance de l’influence que leur comportement peut avoir sur celui de leurs partisans. Ils suggèrent aux chefs d’État n’ayant rien à se reprocher de tout de même divulguer leurs déclarations d’impôt afin de donner l’exemple et d’encourager les citoyens à se conformer, et pour s’assurer que la perception d’équité verticale reste uniforme pour tous.
Toutefois, il y a lieu de se questionner sur la réelle pertinence de commencer à rendre publiques les déclarations d’impôt des leaders politiques dans un pays comme le Canada où cette tradition n’a jamais été implantée. Le mouvement fut instauré aux États-Unis lors de la présidence de Richard Nixon afin d’accroître la confiance des citoyens envers le président après des rumeurs de mauvaises déductions et de revenus non déclarés[i]. Cet objectif a été atteint jusqu’à la présidence de M. Trump où, comme les chercheurs l’ont constaté dans cette étude, cet effet s’est renversé. Il est pertinent de se demander s’il est plus sécuritaire de ne pas divulguer les déclarations d’impôt des leaders politiques afin d’avoir le moins d’influence possible sur le comportement des contribuables.
par Samuel Carbonneau
[1] Daniel KURT, History of Presidents and Federal Income Tax: What’s Normal?, Investopedia, 2021, https://www.investopedia.com/history-of-presidents-and-federal-income-tax-what-s-normal-5080237 (Consulté le 24 mars 2021)
À PROPOS DE CETTE PUBLICATION
Qu’il s’agisse de travaux de recherches sur des aspects fondamentaux des finances publiques ou des éléments plus pointus de la fiscalité, qu’ils soient récents ou pas et qu’ils soient ancrés dans n’importe quelle discipline, l’équipe de la Chaire en fiscalité et en finances publiques partage les constats intéressants tirés des textes consultés dans le cadre de ses projets.