Coup d’œil sur la recherche 2022/01

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Les taxes à la consommation dans une fédération : de la théorie à la pratique
Coup d’œil sur : Richard BIRD et Pierre-Pascal GENDRON, « VATs in Federal States: Experiences and Emerging Possibilities », (2001), Working Paper #01-04, International Studies Program, Georgia State University.

Pendant quelques décennies, la littérature classique sur le fédéralisme fiscal a élaboré une théorie de l’attribution optimale des pouvoirs et des responsabilités fiscales dans un État fédéral où le gouvernement central se voit octroyer la part du lion en matière de pouvoirs fiscaux. Cette théorie s’est toutefois retrouvée fragilisée face au test de la réalité pratique, alors qu’un nombre important de fédérations à travers le monde semblent s’être constituées en dissemblance par rapport aux conclusions théoriques. Il en va ainsi pour la question des taxes sur la valeur ajoutée (ci-après TVA), outil fiscal longtemps considéré comme indésirable par la théorie à l’échelle de gouvernements infranationaux, comme des états ou des provinces.

Dans ce texte de 2001, Bird et Gendron dissèquent par une analyse comparative la formation et l’administration de TVA au sein de certaines fédérations. De ce fait, les auteurs cherchent à contribuer à une meilleure compréhension du fédéralisme fiscal dont la conception théorique traditionnelle apparaît parfois quelque peu en décalage face à l’évolution des fédérations en pratique.

Les arguments contre une TVA infranationale

L’idée qu’un gouvernement central et qu’un gouvernement infranational imposent deux TVA distinctes sur un même territoire a généralement été considérée comme infaisable ou indésirable. Fut notamment évoqué l’argument des coûts d’administration et de vérification plus élevés que ce dédoublement exigerait.

Il a également été défendu par la littérature sur le sujet que la seule manière possible pour un gouvernement infranational d’adopter une TVA viable serait en fonction du principe d’origine. Il en résulterait cependant d’importantes

distorsions économiques, à moins que les gouvernements locaux (provinces ou états) abandonnent leur autonomie fiscale, de même que leur imputabilité politique, et acceptent une uniformisation de la taxe. La principale raison arguée était que sans contrôle des frontières, il serait impossible d’adopter un régime de TVA fondé sur le principe de destination autrement que par un système de chambre de compensation (clearinghouse) interprovinciale où la province d’origine imposerait l’exportation selon son taux et la province importatrice accorderait un crédit.

Comment l’analyse a-t-elle été effectuée?

Bird et Gendron étudient d’abord les régimes de taxes à la consommation fédérales et infranationales de différentes fédérations, ce qui permet de comprendre comment certains problèmes théoriques des TVA sont résolus en pratique. Ensuite, une analyse est effectuée de la taxe de vente harmonisée (ci-après TVH) et de la taxe de vente du Québec (ci-après TVQ). Il en ressort ce que les auteurs décrivent comme étant l’expérience canadienne, qu’ils édictent en quelque sorte comme cadre théorique pour le reste de l’étude.

Les deux chercheurs répètent le même processus descriptif pour l’Inde, l’Argentine et le Brésil, des pays qui ont fait face à plusieurs problèmes quant à l’instauration d’une TVA dans leur fédération. Ils tentent de voir si les enseignements de l’expérience canadienne pourraient aider à résorber les problèmes rencontrés dans ces pays.

Que révèle la recherche?

L’expérience canadienne révèle qu’il est non seulement possible d’avoir différents systèmes d’impôts à la consommation, mais qu’il est également possible de mettre en place un double système de TVA, l’une à l’échelle centrale et une autre à l’échelle provinciale. Certains des éléments clés pour y arriver seraient une forme unifiée d’audit pour les deux TVA, de même qu’un très grand niveau d’échange d’informations entre les gouvernements.

L’assiette fiscale quasi identique entre le gouvernement fédéral et Québec favoriserait également la viabilité de ce système. Il n’est toutefois pas nécessaire que la base d’imposition soit identique ou qu’elle soit administrée par le gouvernement central. En accordant l’administration des deux taxes à Revenu Québec, un large éventail de coûts de conformité a été évité, tout en préservant l’autonomie fiscale du Québec, notamment eu égard à la détermination du taux, de l’assiette fiscale et, jusqu’à un certain point, à une autonomie relative par rapport aux exemptions du consommateur final.

Quant au Brésil, à l’Inde et l’Argentine, la solution d’une taxe de vente compensée a été envisagée, mais concrètement, aucun de ces pays n’avait opté pour celle-ci. Le tableau suivant expose les différences entre les régimes fiscaux qui peuvent influencer la viabilité et le bon fonctionnement d’une TVA à l’échelle infranationale.

Tableau 1. Faits saillants des régimes de taxation

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Notes : * Le taux est déterminé conjointement avec le gouvernement central.
             ** Sauf pour certaines catégories. 
Source : Bird et Gendron, 2001.


La plupart des problèmes de TVA du Brésil, de l’Argentine et de l’Inde s’expliquent, entre autres, par l’absence d’une assiette fédérale solide sur laquelle s’appuyer.

Leurs problèmes s’expliquent également par l’absence de coordination verticale (avec l’État fédéral) ou de coopération interprovinciale. Un système de double TVA demande un grand niveau de transfert d’informations et donc une administration locale puissante et articulée. Est aussi largement problématique l’absence fantomatique du principe de destination dans l’établissement de ces TVA, qui permettrait d’éviter d’importantes distorsions économiques.

Par ailleurs, l’un des défis de ces pays sera de trouver une compensation pour les provinces perdantes au change. En effet, les provinces ou états plus riches et plus grands producteurs ont beaucoup à perdre de passer à un système fondé sur le principe de destination, ne taxant alors point la production vendue vers d’autres provinces ou états du pays. Des transferts fiscaux peuvent être adoptés pour résorber cette difficulté.

Et puis maintenant?

Dans un article de 2014[1], Bird et Smart mettent à jour certaines informations concernant le modèle canadien, notamment à l’égard de la deuxième vague de TVH qui vit le jour en 2010. Les observations initiales du premier texte sont faites à nouveau, soit qu’il est possible, grâce à une bonne administration, d’avoir une TVA fédérale et n’importe quel autre type de taxe au niveau infranational. Si une assiette fiscale commune est préférable, elle est moins importante que la coopération intergouvernementale (audits unifiés, échange d’informations et conformité identique) dans la réussite d’un tel projet. Chaque ordre de gouvernement devrait pouvoir déterminer le taux de sa taxe, imputabilité politique oblige.

Comme le soulignent Bird et Gendron, le point névralgique de toute politique fiscale fédérale est la faisabilité politique. Ce que nous devrions retenir du cas canadien, c’est avant tout l’importance de parvenir à des accords politiques fiscaux adaptés aux besoins et aux intérêts des gouvernements impliqués. Cela peut nécessiter de trouver des solutions qui ne soient pas nécessairement optimales d’un point de vue théorique. Pourtant, c’est ce qui explique le franc succès des impôts à la consommation canadiens.

par Nicolas Proulx

[1] Richard M. Bird et Michael Smart, « VAT in a Federal System: Lessons from Canada », (2014) 34-4 Public Budg. Finance 38‑60.

À PROPOS DE CETTE PUBLICATION
Qu’il s’agisse de travaux de recherches sur des aspects fondamentaux des finances publiques ou des éléments plus pointus de la fiscalité, qu’ils soient récents ou pas et qu’ils soient ancrés dans n’importe quelle discipline, l’équipe de la Chaire en fiscalité et en finances publiques partage les constats intéressants tirés des textes consultés dans le cadre de ses projets.

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