Coup d’œil sur la recherche 2021/04

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Améliorer l’impact économique d’un crédit d’impôt grâce à l’intelligence artificielle
Coup d’œil sur un article de Monica Andini, Emanuele Ciani, Guido De Blasio, Alessio D’Ignazio et Viola Salvestrini

Pendant la deuxième phase de la crise économique de 2008, entre 2010 et 2013, la consommation des ménages en Italie a fortement baissé, passant de presque 970 à 909 milliards d’euros. En réponse à la diminution de la demande intérieure et pour contrecarrer ses impacts sur l’économie, le gouvernement italien a annoncé, le 12 mars 2014, un nouveau transfert pour les ménages surnommé le « bonus de 80 euros ». Octroyé sous forme de crédit d’impôt, le transfert pouvait atteindre un montant maximal de 640 euros pour les travailleurs gagnant entre 8 145 et 26 000 euros par année, d’où l’exclusion des ménages à faible revenu. Près de 7 milliards d’euros ont été versés aux ménages italiens en 2014 avec ce transfert, l’équivalent de 0,4 % du PIB italien.

Toutefois, des données disponibles dans la « Survey on Household Income and Wealth » (SHIW), menée par la Banque d’Italie tous les deux ans, indiquaient que certains ménages recevant le transfert ne le dépensaient pas nécessairement dans l’économie italienne, puisqu’ils n’étaient pas restreints au niveau de leur consommation, diminuant ainsi l’impact économique positif de cette dépense importante du gouvernement.

Dans un article publié en 2018, Andini et ses coauteurs se sont donc questionnés si des techniques de « machine learning » pouvaient être utilisées pour améliorer les critères de sélection des individus ou des ménages recevant le transfert afin de maximiser les retombées économiques de la dépense.

Qu’est-ce que le « machine learning » ?

Le « machine learning », ou apprentissage automatique, est un type d’intelligence artificielle utilisé par les scientifiques de données. Concrètement, il est constitué de différents types d’algorithmes capables de générer des modèles lorsqu’on leur fournit des données brutes. Après avoir été entraîné avec une base de données constituée de données d’entrée et de réponses associées, l’algorithme d’apprentissage automatique est capable de faire des prédictions de réponses appropriées à partir de nouvelles données de départ.

Comment l’analyse a-t-elle été effectuée?

La SHIW recueille des informations sur le revenu net de chaque membre du ménage, les avoirs financiers du ménage, leur niveau de difficulté à s’acquitter de leurs dépenses courantes, leur consommation de biens non durables par mois, leur montant de dépenses sur la nourriture par mois et leur facilité à obtenir une approbation hypothécaire, entre autres. Le questionnaire de 2014 demandait également aux ménages répondants combien de membres du ménage avaient bénéficié du crédit d’impôt et le montant que chacun avait reçu. Les auteurs de l’étude ont utilisé ces données afin de construire divers algorithmes pour évaluer l’efficacité des critères de sélections originaux du programme et pour vérifier si de meilleurs critères pouvaient être utilisés pour maximiser les effets positifs de la mesure sur l’économie italienne.

Que révèle l’analyse?

En analysant ces données, Andini et ses coauteurs ont trouvé que le crédit d’impôt n’avait pas eu d’effet observable sur la consommation de biens non durables, mais qu’il avait eu un impact significatif sur les dépenses en nourriture des ménages. Ils ont donc utilisé les niveaux de dépenses en nourriture pour mesurer l’impact du crédit d’impôt sur la consommation des bénéficiaires.

Leur analyse a révélé que 29,5 % du transfert de 7 milliards d’euros n’a eu aucun effet mesurable sur la consommation des bénéficiaires. Pour les auteurs, ce résultat implique que la dépense du gouvernement pour ce programme aurait pu être réduite d’environ 2 milliards d’euros sans affecter l’impact économique de la mesure. Les auteurs affirment qu’il aurait également été possible d’allouer cette portion de la dépense de façon plus efficace à des ménages qui avaient de la difficulté à combler leurs besoins de consommation, mais qui n’ont pas bénéficié de la mesure. En effet, la figure ci-dessous montre que plusieurs ménages rapportant dans la SHIW avoir de la difficulté à subvenir à leurs besoins de consommation n’ont pas bénéficié de la mesure.

Difficulté à subvenir aux besoins de consommation pour les ménages bénéficiaires ou non bénéficiaires

Source : Andini et autres, 2018

Ceci est peut-être en partie attribuable au fait que les critères de sélection du crédit d’impôt étaient basés uniquement sur les revenus des individus, et non des ménages.

Les auteurs ont ensuite développé plusieurs modèles d’apprentissage automatique pour trouver de meilleurs critères de sélection pour les bénéficiaires du crédit d’impôt. Spécifiquement, ils ont développé un algorithme de type « arbre de décision » qui a déterminé que les ménages répondant aux critères suivants auraient dû bénéficier de la mesure :
(a) les ménages ayant moins de 13 255 euros d’actifs financiers, un revenu inférieur à 36 040 euros ou ayant un revenu du ménage de plus de 36 040 euros, mais dont chacun des membres gagne moins de 34 500 euros
(b) les ménages ayant moins de 13 255 euros d’actifs financiers, un revenu inférieur à 52 591 euros par année, un revenu annuel d’actifs financiers de moins de 433 euros et dont au moins un des membres gagne moins de 13 895 euros.

Les auteurs évaluent que l’utilisation de ces critères pour la sélection des bénéficiaires du programme aurait augmenté la consommation de nourriture de 760 millions d’euros, sans accroître le coût de la mesure.

La transparence des algorithmes: un enjeu important

Un autre algorithme développé par les chercheurs a donné des résultats légèrement supérieurs à ceux de l’algorithme d’arbre de décision. Cependant, il s’agissait d’un algorithme opaque, de type « random forest » (traduction libre : forêt aléatoire), alors que les décisions prises par des algorithmes d’arbre de décision sont compréhensibles et explicables. Comme il est important que les gouvernements soient transparents, particulièrement dans la sélection des bénéficiaires de leurs programmes d’aide, les auteurs recommandent l’utilisation d’algorithmes de type d’arbre de décision pour les politiques publiques.

Et puis maintenant?

Au début de la pandémie de COVID-19, les gouvernements québécois et canadiens ont rapidement mis en place des mesures concrètes pour aider les individus et les familles et soutenir les entreprises. Dans plusieurs cas, les critères de sélection des bénéficiaires ou la mécanique des mesures ont été critiqués[1]. Les algorithmes d’apprentissage automatique, particulièrement du type arbre de décision, pourraient représenter un outil intéressant pour aider les gouvernements à mieux établir leurs programmes de soutien afin de maximiser l’impact économique positif de ces mesures.

par Rebecca Martel

Référence
ANDINI, Monica, CIANI, Emanuele, DE BLASIO, Guido, D’IGNAZIO, Alessio et SALVESTRINI, Viola. “Targeting with machine learning: An application to a tax rebate program in Italy”, (2018), vol. 156, p. 86–102, Journal of Economic Behavior & Organization.

[1] GRAMMOND, Stéphanie, « La PCU est morte, vivement la PCRE ! », 29 septembre 2020, La Presse, <https://www.lapresse.ca/affaires/2020-09-29/la-pcu-est-morte-vivement-la-pcre.php>. GODBOUT, Luc et ST-CERNY, Suzie, « Travailler au salaire minimum au Québec et incitation au travail à l’ère de la crise de la COVID-19 », Regard CFFP n° 2020-02, < https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/wp-content/uploads/2020/04/r _2020-02_salaire-minimum_2020.pdf >.

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Qu’il s’agisse de travaux de recherches sur des aspects fondamentaux des finances publiques ou des éléments plus pointus de la fiscalité, qu’ils soient récents ou pas et qu’ils soient ancrés dans n’importe quelle discipline, l’équipe de la Chaire en fiscalité et en finances publiques partage les constats intéressants tirés des textes consultés dans le cadre de ses projets.

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