Les lois sur l’équilibre budgétaire : utilité en période de récession
Coup d’œil sur un article de Haizhen Mou, Michael M. Atkinson et Stephen Tapp
Les règles budgétaires ont des justifications théoriques et politiques documentées. Pourtant, depuis leur apparition au milieu des années 1990 dans les provinces canadiennes, les règles interdisant les déficits ont souvent été considérées avec scepticisme. Des études empiriques sur l’efficacité de telles règles aux États-Unis ont montré des résultats positifs en matière de gestion budgétaire. Des études canadiennes ont quant à elles généré des résultats plus mitigés.
La crise financière de 2008-2009 ayant été le premier test des règles établies dans les provinces canadiennes, les auteurs Mou, Atkinson et Tapp s’intéressent notamment à l’impact des lois sur l’équilibre budgétaire (LEB) à différentes étapes du cycle économique. Ainsi, ils cherchent à mesurer empiriquement si leurs effets sont positifs sur le plan de la gestion budgétaire tant en périodes de ralentissement et de reprise économiques que lorsque l’économie performe relativement bien.
Comment l’analyse a-t-elle été effectuée?
Des évaluations empiriques sont effectuées à partir des données récoltées et construites pour les provinces canadiennes pour la période 1982-2013. Comme la nature et les exigences des LEB sont différentes d’une province à l’autre, un indice de rigueur des règles a d’abord été calculé pour chaque province et année. Cet indice est basé sur cinq critères et va de 0 (aucune règle) à 10 (loi la plus rigoureuse). Par exemple, une règle est plus rigoureuse lorsque:
- l’équilibre ou l’excédent doit être réel (ex post budget) plutôt que prévu (ex ante);
- le budget doit être équilibré chaque année plutôt que sur une plus longue période;
- la règle n’inclut pas de clause d’exception;
- la règle exige de compenser au cours du prochain exercice plutôt que sur plusieurs années en cas d’objectif manqué;
- son non-respect entraîne une pénalité salariale pour les membres du conseil exécutif.
Pour les provinces prises ensemble, l’indice de rigueur construit montre une forte corrélation positive avec l’évolution des soldes budgétaires ; ainsi, des soldes moyens plus faibles sont associés avec plus de rigueur.
Bien sûr, la performance budgétaire des gouvernements est aussi influencée par les cycles économiques. Plus spécifiquement, les gouvernements auraient davantage de difficultés à équilibrer leur budget dans la partie du cycle qui va d’un sommet jusqu’à la fin de la reprise.
Figure 1. Les étapes du cycle économique
Pour modéliser les effets des LEB dans les provinces en lien avec le cycle économique, les périodes normales (de C à D sur la figure 1) et les périodes difficiles (de A à C) ont été déterminées pour les provinces en fonction du niveau du PIB réel par habitant.
Les résultats des provinces quant au solde budgétaire et à l’endettement ont été analysés sur la base de ces deux critères, soit la présence de LEB et la période du cycle. La figure ci-dessous donne des indications préliminaires des effets différentiels des LEB pendant les périodes normales par rapport aux périodes difficiles.
Figure 2. Résultats budgétaires selon diverses conditions
Source : Mou et autres, 2018
On constate par exemple que lorsqu’une province n’avait pas de LEB, les probabilités d’équilibrer le budget étaient très faibles, peu importe la situation économique (13 % en temps normal et 8 % dans les moments difficiles). Ces résultats préliminaires suggèrent que les LEB ont été associées à l’amélioration des résultats budgétaires en période économique normale et plus difficile.
Pour aller plus loin, les auteurs estiment un modèle de régression visant à associer l’importance relative des LEB à une meilleure gestion des finances publiques. Ils souhaitent expliquer la relation entre le solde budgétaire et une série de variables dont:
- Un indice de rigueur des LEB. Cet indice est fixé à 0 avant l’introduction d’une LEB et sa valeur varie selon divers critères au fur et à mesure que les provinces modifient ou abrogent leur loi. Un lien positif entre cet indice et la variable de solde budgétaire est espéré.
- Des variables permettant de capter l’influence des conditions économiques (normales ou difficiles).
- D’autres variables: une donnant une indication de l’état financier de la province, et des variables visant à capter des phénomènes politiques ou qui différencient les provinces.
Que révèle la recherche?
Les résultats des régressions obtenus vont en général dans le sens de ce qui était anticipé et ils sont statistiquement significatifs. Ils montrent que les LEB adoptées par les provinces canadiennes au cours des dernières décennies ont eu des effets conformes à leurs objectifs énoncés — une règle plus rigoureuse est associée à une plus grande probabilité de produire un budget équilibré, un équilibre budgétaire plus solide et une dette accumulée plus faible. Ces résultats s’appliquent à la fois dans des conditions économiques normales et pendant les périodes difficiles.
Ce dernier élément contredit les critiques qui avancent que les LEB ne sont utiles que dans les périodes économiques normales parce qu’elles ont été suspendues ou que les gouvernements ont réduit leur rigueur lorsque les conditions économiques se sont détériorées. Or, les auteurs montrent que les règles budgétaires agissent tout au long du cycle.
Et puis maintenant?
À court terme, si les LEB sont là pour de bon, les auteurs concluent que leur conception doit être améliorée notamment en envisageant la mise en place d’instruments qui permettront aux gouvernements de se conformer aux exigences budgétaires, même en période de turbulences économiques ; par exemple l’établissement de réserves (rainy day funds) ou la budgétisation pluriannuelle.
À plus long terme toutefois, les auteurs avancent qu’il faudrait orienter les règles budgétaires davantage vers une mesure du ratio de la dette au PIB comme point d’ancrage, car assurer la viabilité budgétaire à long terme devrait primer sur l’équilibre budgétaire annuel.
La crise de la COVID-19, par son ampleur et sa durée, tant d’un point de vue économique que budgétaire, milite également pour une révision des ancrages qui feraient en sorte qu’ils demeurent utiles tout en ne nuisant pas aux gestes nécessaires pour contrer le ralentissement et amorcer une reprise.
par Suzie St-Cerny
Référence
MOU, Haizhen, Michael M. ATKINSON et Stephen TAPP. “Do Balanced Budget Laws Matter in Recessions?”, (2018), Public Budgeting & Finance 38.
À PROPOS DE CETTE PUBLICATION
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