Les taxes à la consommation seront-elles une source de revenu résiliente pendant la crise pandémique?
Coup d’œil sur un article de l’OCDE
Intuitivement, on peut supposer qu’une récession affecte les recettes tirées de certaines sources de recettes fiscales à la baisse. À titre d’exemple, les recettes tirées de l’impôt sur le bénéfice des sociétés sont fortement corrélées à l’évolution du PIB. L’utilisation de sources de recettes publiques moins sensible à la conjoncture économique constitue donc une préoccupation des États afin de maintenir les entrées de fonds en période de crise. Dans cette perspective, les recettes tirées des taxes à la consommation peuvent-elles être considérées comme résilientes, celles-ci étant moins affectées par les aléas de l’économie?
Dans un chapitre publié en 2020, en isolant les déterminants des taxes à la consommation et en analysant leur évolution pendant la crise financière de 2008, l’OCDE anticipe l’évolution des recettes tirées de ce prélèvement pendant la présente crise pandémique. Au cours de la crise financière, la majorité des pays de l’OCDE ont vu l’importance de leurs recettes fiscales en proportion de l’économie chuter. Les travaux de Simon et Harding (2020) montrent cependant que les recettes tirées des taxes à la consommation en proportion du PIB ont moins diminuées que celles provenant de l’impôt sur le bénéfice des sociétés, des taxes sur la masse salariale et de l’impôt sur le patrimoine[1].
La présente crise pandémique se caractérise par une réduction importante de la consommation due au confinement des individus et aux fermetures de commerces pour motifs socio-sanitaires. Ceci aura-t-il un effet particulier sur l’évolution des recettes tirées des taxes à la consommation?
Déconstruction du ratio des recettes fiscales
Afin d’analyser le rapport des recettes fiscales issues des taxes à la consommation (TC) au PIB, l’OCDE décompose ce ratio en deux éléments, à l’aide de l’équation suivante:
Le premier terme du second membre de l’équation correspond aux recettes tirées des taxes à la consommation exprimées en pourcentage de la base d’imposition théorique, la consommation privée et publique. Il représente les paramètres de la politique fiscale (élargissement des produits et services visés par la taxation, variation de taux d’imposition légal, effet de la non-conformité fiscale), soit le taux d’imposition implicite. Celui-ci est dissocié de l’effet de l’environnement économique sur les recettes, qui est représenté par le deuxième terme.
Que révèle la recherche sur la crise financière?
À l’aide des données issues des comptes nationaux et des statistiques de recettes publiques de l’OCDE, l’analyse du ratio TC/PIB et de ses composantes révèle que pendant la crise financière, le taux d’imposition implicite moyen des pays de l’OCDE a reculé de 17,6% à 16,0%, entraînant, malgré une augmentation du poids de la consommation totale en proportion du PIB, un recul net du rapport des recettes des taxes à la consommation au PIB.
En fait, entre 1995 et 2018, l’évolution du ratio TC/PIB résulte plus souvent qu’autrement de la direction prise par le taux de croissance annuel du taux d’imposition implicite, celui-ci évoluant souvent dans la direction contraire de la croissance du rapport des dépenses de consommation au PIB, comme on le constate sur la figure ci-dessous.
Taux de croissance annuels (constatés) des taxes à la consommation en pourcentage du PIB et de ses composantes, moyenne OCDE, 1995-2018
Source : OCDE, 2020 (https://doi.org/10.1787/888934209761)
En 2008 et 2009, c’est donc la diminution du taux d’imposition implicite de la consommation (et non la réduction de la consommation privée et publique en pourcentage du PIB) qui a affecté à la baisse les recettes fiscales tirées des taxes à la consommation, mesurée en proportion de la taille de l’économie.
Cette diminution peut s’expliquer par une modification du type de dépenses de consommation pendant cette récession. Tandis que la part des dépenses publiques et celle de la consommation privée de biens et de services de première nécessité au sein de la consommation totale ont augmenté, la part de la consommation privée de biens et de services de luxe a diminué. En effet, même si les dépenses totales de consommation sont globalement restées relativement stables parmi les pays de l’OCDE, dans plusieurs pays la dépense publique est exonérée en taxe à la consommation, tandis que des taux réduits s’appliquent sur les biens et services de première nécessité.
L’OCDE mentionne également le non-respect temporaire des obligations fiscales des contribuables pendant la crise financière comme élément explicatif de la réduction du taux d’imposition implicite.
Quant à la hausse du rapport des dépenses de consommation totale au PIB, celle-ci est d’abord due à la baisse des investissements. La contraction des investissements affecte le dénominateur (le PIB) à la baisse, ce qui permet à la consommation privée en proportion du PIB de se maintenir tandis que la consommation publique augmente.
Perspective pour 2020
L’OCDE estime que le recul des dépenses de consommation sera de 10,8% en moyenne parmi ses pays membres en 2020. En revanche, le niveau moyen d’investissements devrait reculer de 12,8%. Le PIB sera donc affecté plus durement que la consommation, et la consommation totale, alimentée par les dépenses publiques liée à la COVID-19, devrait augmenter en proportion du PIB. Cette hausse n’empêchera pas les recettes fiscales de diminuer en raison du taux d’imposition implicite, qui devrait évoluer à la baisse comme ce fut le cas lors de la crise financière.
Étant donné l’effet du confinement et des fermetures de commerces sur la consommation, l’OCDE anticipe une réduction encore plus importante des recettes tirées des taxes à la consommation en proportion du PIB qu’en 2008-2009.
Les travaux de l’OCDE démontrent que depuis 1995 les recettes tirées des taxes à la consommation ont été plus sensibles au taux d’imposition implicite, qui résulte des politiques fiscales intentionnelles des juridictions, qu’à l’évolution du niveau de consommation mesuré en proportion du PIB qui lui, relève de l’évolution de l’économie.
De façon générale, l’étude permet de constater que les dépenses de consommation totales sont potentiellement moins affectées par les ralentissements économiques que d’autres bases d’imposition tels les bénéfices des entreprises ou les salaires. Toutefois, les produits et les services touchés par l’exonération, la détaxation ou des taux réduits ont pour effet d’affaiblir la résilience des taxes à la consommation comme source de recettes fiscales en période de récession.
par Michaël Robert-Angers
Référence
OCDE, « Statistiques des recettes publiques 1965-2019 : Recettes issues des impôts sur la consommation à l’ère du COVID-19 : les enseignements de la crise financière mondiale de 2008 », 2020, pp. 42-59.
[1] Simon, Hannah et Michelle Harding, What drives consumption tax revenue? Disentangling policy and macroeconomic drivers, OECD Taxation working papers no. 47, 2020.
À PROPOS DE CETTE PUBLICATION
Qu’il s’agisse de travaux de recherches sur des aspects fondamentaux des finances publiques ou des éléments plus pointus de la fiscalité, qu’ils soient récents ou pas et qu’ils soient ancrés dans n’importe quelle discipline, l’équipe de la Chaire en fiscalité et en finances publiques partage les constats intéressants tirés des textes consultés dans le cadre de ses projets.