Coup d’œil sur la recherche 2020/04

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Reprise économique après un désastre : l’ouragan Katrina à La Nouvelle-Orléans
Coup d’œil sur un article de Jacob Vigdor

Les mesures de confinement et de fermeture de l’économie décrétées par les gouvernements pour stopper la propagation de la Covid-19 ont entraîné une crise économique sans précédent. Cette chute brutale de l’activité économique est provoquée par des forces extérieures, un peu comme dans le cas d’une guerre ou d’une catastrophe naturelle[1]. Plusieurs chercheurs ont étudié la reprise économique de villes frappées par des désastres de cet acabit, dont le professeur en politiques publiques Jacob Vigdor, qui a analysé les conséquences économiques de l’ouragan Katrina pour la ville de La Nouvelle-Orléans.

Le 29 août 2005, l’ouragan Katrina s’est abattu sur la Louisiane et le Mississippi ; les inondations qui ont suivi ont forcé l’évacuation presque complète de La Nouvelle-Orléans, une ville construite en bonne partie sur des marais asséchés et dont une large portion du territoire se situe sous le niveau des mers. Le 1er juillet 2007, près de deux ans après Katrina, seule la moitié des résidents étaient de retour dans la ville. Dans un contexte où la plupart des autorités gouvernementales plaidaient pour une reconstruction complète de la Big Easy, l’article de Vigdor, paru en 2008, analyse le potentiel de rebond de La Nouvelle-Orléans en posant une question fondamentalement économique : la ville continuera-t-elle d’être une localisation de choix pour ses habitants d’origine et leurs employeurs?

Le retour à la normale après une catastrophe

En se basant sur des études de cas notoires, Vigdor relève que dans la majorité des villes, l’effet d’un désastre sur le nombre d’habitants n’est que passager, la population revenant rapidement à sa trajectoire initiale. Seule la population de Dresden, déjà en déclin au début de la Deuxième Guerre mondiale, est demeurée inférieure à son niveau d’avant 1945. Avant l’incendie de Chicago (1871), le tremblement de terre à San Francisco (1906) ou les bombardements de Hambourg (1943), ces villes se développaient rapidement parce que les technologies de production en place fournissaient une justification économique convaincante pour s’y installer, justification laissée inchangée par la destruction de leurs infrastructures physiques.

Vigdor conclut que les chocs temporaires ont peu d’effets à long terme sur les villes en croissance, mais qu’ils changent fondamentalement la trajectoire des villes sur le déclin.

Comment l’analyse a-t-elle été effectuée?

Dans un premier temps, l’auteur survole l’histoire industrielle de La Nouvelle-Orléans, de son apogée jusqu’au mois d’août 2005. Puis, il analyse les impacts dévastateurs de l’ouragan Katrina sur la population de la ville, le logement et le marché de l’emploi.

Que révèle la recherche?

En termes d’importance relative, La Nouvelle-Orléans a atteint son sommet en 1840, lorsqu’elle disputait à Baltimore le titre de deuxième ville la plus peuplée des États-Unis. Son port à l’embouchure du fleuve Mississippi générait à l’époque une activité économique importante. Au fil des ans et du développement technologique, le transport par barge fluviale a peu à peu été remplacé par le transport par rails, camions, pipelines et porte-conteneurs, jusqu’à devenir complètement dépassé. Contrairement à d’autres villes portuaires du nord-est des États-Unis, La Nouvelle-Orléans n’est jamais devenue un centre de production industrielle, mais sa population a continué de croître en terme absolu jusqu’aux années 1960. Cette croissance démographique s’est largement matérialisée dans les banlieues, empiétant sur les marais environnants alors que la population de la ville centrale déclinait.

Dans les décennies qui ont suivi, la ville n’a pas développé son secteur de l’économie du savoir, un secteur qui a alimenté la croissance économique de plusieurs autres centres urbains, et sa population a poursuivi son lent déclin. Au tournant du 21e siècle, les atouts économiques de La Nouvelle-Orléans se résumaient surtout à son port et à son industrie touristique. Les perspectives économiques limitées et les difficultés de la ville se reflétaient dans son marché du logement, avec une valeur des maisons bien inférieure aux coûts de construction neuve, surtout dans sa partie centrale. Citant les chercheurs Glaeser et Gyourko (2005), Vigdor argumente que dans les villes aux économies dévitalisées, la faiblesse des coûts de logement compense les résidents pour les opportunités économiques moins nombreuses.

En rendant inhabitables les deux tiers des logements de la ville, l’ouragan Katrina a mis fin brutalement à cette période de faibles coûts de logement. Le loyer médian d’un appartement a ainsi augmenté de 48 % de 2004 à 2006, et ce, malgré les subventions et les programmes gouvernementaux mis en place après l’ouragan.

Selon Vigdor, l’ouragan Katrina a ainsi causé des dommages irréversibles à la raison d’être économique de La Nouvelle-Orléans.

À partir des données du Census Bureau, Vigdor estime que l’ouragan Katrina a amputé environ 200 000 habitants à la population de La Nouvelle-Orléans, laissant derrière lui une population plus défavorisée et plus âgée. Si la diminution de la population active et les efforts de reconstruction se sont traduits par des hausses salariales dans plusieurs secteurs d’activités, Vigdor calcule qu’elles ne suffisent pas nécessairement à couvrir l’augmentation du coût de la vie à laquelle ferait face un évacué hypothétique qui reviendrait s’installer à La Nouvelle-Orléans. Le chercheur prédit ultimement qu’à son nouvel équilibre, la ville sera plus petite qu’avant l’ouragan Katrina.

Et puis maintenant?

Des données récentes confirment que la population de La Nouvelle-Orléans n’est toujours pas revenue à son niveau d’avant Katrina.

Population de La Nouvelle-Orléans, 1970-2019

Source : County Population Estimates, United States Census Bureau

Depuis 2015, la population de la ville avoisine 390 000 habitants, soit environ 100 000 de moins qu’en août 2005.

Dans une certaine mesure, les constats de Vigdor sur l’impact des chocs temporaires sur les économies en croissance peuvent s’appliquer à la crise provoquée par la pandémie. Il sera intéressant d’observer les mouvements de population qui pourraient survenir dans le contexte de la pandémie et ce que cela aura comme impact pour les villes les plus touchées.

En mai dernier, les économistes Abhijit Banerjee et Ester Duflo écrivaient dans The Economist que, dans l’éventualité où un traitement ou un vaccin contre le nouveau coronavirus deviendrait rapidement disponible, les économies devraient vite converger vers leur niveau d’avant la crise. Ils relevaient cependant que la convergence économique observée durant l’après-guerre n’aurait pas été possible sans une intervention massive de gouvernements qui jouissaient d’une grande légitimité, et dans un contexte où les inégalités étaient moins flagrantes. Si la crise sanitaire et économique devait perdurer, elle risque de mettre à mal la légitimité des gouvernements et d’exacerber les inégalités sociales et économiques. Dans ce cas, le chemin vers le retour à la normale pourrait être ardu.

par Rebecca Martel et Julie S. Gosselin

Référence
VIGDOR, Jacob. “The Economic Aftermath of Hurricane Katrina”, (2008), vol. 22, n°4, p.135-154, Journal of Economic Perspectives.

[1] Voir notamment BANERJEE, Abhijit et DUFLO, Esther. « The world after covid-19: Abhijit Banerjee and Esther Duflo on how economics can rebound », The Economist, 26 mai 2020.

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Qu’il s’agisse de travaux de recherches sur des aspects fondamentaux des finances publiques ou des éléments plus pointus de la fiscalité, qu’ils soient récents ou pas et qu’ils soient ancrés dans n’importe quelle discipline, l’équipe de la Chaire en fiscalité et en finances publiques partage les constats intéressants tirés des textes consultés dans le cadre de ses projets.

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