L’impact des facteurs sociaux sur la perception et l’attitude face à l’impôt
Coup d’œil sur un article de Miriam Dornstein
Quels sont les facteurs sociaux qui affectent l’attitude et la perception des contribuables à l’égard de la fiscalité? Dans les années 1970 et 1980, plusieurs chercheurs se sont intéressés à l’impact de l’opinion publique sur la politique fiscale. Cependant, peu de recherches ont analysé spécifiquement les attitudes et les perceptions des contribuables, ainsi que les facteurs sociaux les ayant façonnées. Les hypothèses à ce propos étaient rarement fondées sur des données probantes, mais se basaient surtout sur le « bon sens », l’inférence indirecte ou, dans de rares cas, des sondages d’opinion.
Dans un article publié en 1987, Miriam Dornstein a cherché à déterminer et à expliquer les facteurs sociaux soutenant les images, les croyances et les perceptions que les contribuables ont de l’impôt. Elle a centré son travail sur certains thèmes qui reviennent fréquemment dans l’analyse de la perception de la politique fiscale: la conscience de l’existence de différents impôts par le contribuable, la satisfaction envers le système fiscal dans son ensemble et envers les taxes spécifiques, ainsi que la perception d’équité dans la répartition des impôts et des taxes.
Comment l’analyse a-t-elle été effectuée?
L’étude a eu lieu à Haïfa, la troisième plus grande ville d’Israël. La collecte de données a été réalisée à partir d’un questionnaire, au cours d’entrevues avec un échantillon aléatoire de 360 chefs de ménages provenant de cinq régions socioéconomiques. Une proportion moins élevée de participants a été sélectionnée dans les régions où le revenu était plus faible, parce qu’une grande partie des contribuables de ces régions était exemptée d’impôts, et que leurs habitudes de consommation étaient moins visées par certaines taxes indirectes.
Des données sur l’éducation, le statut socioéconomique, le revenu, l’origine ethnique, le statut d’emploi, la charge fiscale perçue, l’attitude envers les impôts et les croyances politiques ont été recueillies, en plus des données portant sur la conscience des impôts, la satisfaction face au système fiscal et sur la perception d’équité du régime d’imposition.
Que révèle la recherche…
… à propos de la conscience de la fiscalité?
Le fait d’avoir conscience de l’existence des impôts serait influencé par une multitude de facteurs sociaux. Par exemple, l’analyse n’a pas confirmé que les impôts directs (impôt sur le revenu, impôt sur les successions et les dons, taxes foncières) seraient nécessairement plus visibles que les taxes indirectes (taxes de ventes et taxes sur la valeur ajoutée). En fait, elle l’a confirmé pour l’impôt sur le revenu, mais pas pour les autres impôts directs. Dans leur cas, la conscience variait selon différents facteurs sociaux et n’était pas toujours plus forte que dans le cas des taxes indirectes. Un lien positif entre la conscience et l’éducation a été trouvé pour les taxes moins visibles, comme les taxes indirectes, mais pas dans le cas des impôts largement connus, comme l’impôt sur le revenu.
L’étude a par ailleurs confirmé que la conscience d’une taxe au sein d’une classe sociale serait positivement liée à l’impact de la taxe sur son niveau de vie. Par exemple, l’impôt foncier et l’impôt sur les successions étaient davantage connus par les contribuables ayant un statut socioéconomique élevé.
L’analyse du facteur revenu a abouti à la même conclusion, sauf pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et la taxe de vente, dans le contexte spécifique de leur application en Israël à l’époque. Dans le cas de la TVA, les ménages à revenu faible et élevé en étaient moins conscients, les premiers, parce que les produits de première nécessité étaient détaxés, alors que pour les seconds, c’est la baisse du fardeau relatif de la taxe par rapport au revenu qui était en cause. La taxe de vente affichait plutôt une relation inverse: les groupes à revenu plus faible ou plus élevé en étaient davantage conscients, car elle affectait les biens de luxe achetés par les mieux nantis et des produits nécessaires au quotidien de tous.
… à propos de la satisfaction envers le système fiscal?
La figure ci-dessous illustre comment la satisfaction envers le système fiscal varie en fonction de divers facteurs objectifs et subjectifs.
Taux de satisfaction envers le système fiscal, selon différents facteurs
Source: M. Dornstein, 1987
La satisfaction était nettement plus faible pour ceux dont les revenus se situaient sous la moyenne nationale, soit ceux qui ressentaient le plus la pression des impôts sur leur capacité financière et leur habileté à maintenir une « identité sociale valide ».
Ceux qui avaient un revenu supérieur à la moyenne attribuaient leur insatisfaction surtout aux iniquités qu’ils percevaient dans la distribution des impôts. Dans le cas de la satisfaction envers une taxe spécifique, elle était affectée par le fardeau relatif que percevait supporter un groupe socioéconomique, même si la taxe était progressive.
… à propos de la perception d’équité dans la répartition des impôts?
Une perception positive d’équité était directement associée à l’appartenance aux groupes socioéconomiques faible et médian, au sentiment que le fardeau fiscal n’est pas excessif, à une attitude positive à l’égard de l’État et au fait de ne pas lire les journaux. Selon les répondants, l’injustice des lois fiscales constituait le principal facteur d’iniquité. Toutefois, l’importance accordée à ce facteur diminuait avec l’augmentation du statut social du répondant. Avec la hausse du statut social venait la croyance que les possibilités d’évasion fiscale de certains contribuables engendreraient les iniquités du système. Comme dans le cas de la satisfaction envers les impôts, c’est le sacrifice relatif d’un groupe par rapport à un autre qui affectait sa perception que le système est équitable.
Et puis maintenant?
Ces résultats suggèrent qu’un revenu relativement faible et qu’un sentiment de précarité constituaient les sources principales d’insatisfaction. Les contribuables à faible revenu percevaient l’ensemble des taxes leur incombant comme un fardeau injuste, et s’opposaient généralement à tout impôt. Pour les contribuables à revenu plus élevé, les inégalités dans la distribution des impôts leur donnaient le sentiment d’être injustement discriminés.
En ce sens, du point de vue du contribuable, la satisfaction et, surtout, la perception que le système fiscal est équitable sont largement considérées à travers le prisme de l’intérêt personnel.
par Nicolas Sergerie
Référence
DORNSTEIN, Miriam. « Taxes: Attitudes and Perceptions and their Social Bases », (1987), vol. 8 Journal of Economic Psychology 55.
À PROPOS DE CETTE PUBLICATION
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